Cette année, j’ai donc commencé à essayer de rattraper mon retard abyssal en piochant un peu au hasard dans cet océan de films divers et variés. Car pour enfiler quelques clichés, on rappellera que l’Inde est un territoire immense, une fédération de nations ayant chacune leurs langues, leurs coutumes, leurs propres cultures et donc leur propre cinéma. Bollywood à Bombay où l’on parle hindi, Tollywood, avec le Telangana et sa langue le telugu, Mollywood avec le Kerala où l’on parle Malayalam, Sandalwood avec le Karnataka où l’on parle le Kannada, Kollywood avec Tamil Nadu où l'on parle tamoul etc etc… La multiplicité des religions (hindou, sikh, islam ou chrétienne) ajoute à la complexité et à la richesse d’un pays qui repose sur une histoire politique, mythologique et religieuse qui apparaît d’une insondable profondeur aux profanes dans notre genre.
Bref, papillonnant d’un genre à l’autre, d’un cinéma à l’autre, cette escapade récente s’est révélée être un voyage absolument excitant ! Depuis mon adolescence, je n’avais probablement jamais vu autant de bons films à la suite, et en si peu de temps. Je me suis concentré sur les films sortis récemment, voulant me faire une idée de la production indienne, aujourd'hui. Curieux de savoir si RRR était une exception, et à quoi ressemblait l'industrie qui avait vu naître, en son sein, un tel film. La fin de l’année arrivant, je vous propose donc un petit tour d’horizon rapide qui n’a d’autre prétention que d’évoquer succinctement ce que j’ai vu et apprécié cette année, laissant de côté la poignée de films qui ne m’auront pas plu. Je reste quand même sidéré par le faible nombre de films que j'ai écarté, face à cette liste merveilleuse qui continue de s’allonger, jour après jour…
Bien sûr, la première chose que j'ai voulu fallu
rattraper, c’est évidemment la filmographie de SS Rajamouli. La découverte de son
œuvre, en tout cas d’une partie de son œuvre, permet d'abord de constater et d'évaluer la
progression incroyable de ce réalisateur hautement sympathique. De ses premiers films jusqu'au démentiel triomphe de RRR, le chemin de Rajamouli, et sa persistance à améliorer constamment son art, forcent le respect. SS Rajamouli, encore une fois, ధన్యవాదాలు !
2009 Magadheera, telugu
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✭ 2012 Eega, telugu ✭
Cette comédie d’action repose sur une idée simple, mais baroque : un pauvre type assassiné par un méchant mafieux va se
retrouver réincarné en mouche. À partir de là, l'insecte n’aura de cesse
que d’assouvir sa vengeance. Une proposition aussi burlesque que casse-gueule
que Rajamouli parvient à mener avec une rage et une maîtrise qui emportent tout
sur leur passage. Drôle, jouissif, terriblement distrayant et, de toute façon, incontournable !
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2015
Bàhubali 1 : The Beginning / 2017
Bàhubali 2 : The Conclusion
C’est probablement avec ce diptyque maousse
costo que Rajamouli s’est fait largement connaître en dehors de son pays, et
c’est probablement le film mythologiquo-fantastique qui,
jusqu’ici, était le passage d’entrée le plus évident vers le cinéma indien. Si
ses qualités sont indiscutables, et si ce récit s’étalant sur plusieurs
temporalités, aux nombreux personnages et aux scènes d’action triple XL est
devenu un classique, ça n’est pas un hasard. Reste qu’au-delà du plaisir que Bàhubali procure au spectateur, sa découverte tardive, en ce qui
me concerne, souffre de la comparaison avec RRR, que je trouve nettement plus
abouti à tous les niveaux. Bien mieux écrit et bien mieux réalisé, le dernier film de Rajamouli évite les écueils de ces Bàhubali, leur lourdeur parfois pachydermique et leur rythme plutôt nonchalant. Ceci dit, il n’est pas question ici d’ergoter plus avant, de
toute façon, Bàhubali doit être vu !
Après bon, voila quoi...
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✭ 2022, RISE ROAR REVOLT, telugu ✭
On pourrait
croire que ce film est un miracle, mais ça serait ignorer tout le travail
accompli par SS Rajamouli durant ces dix dernières années. Ca serait également prendre à la légère le niveau de
maitrise de toute son équipe, qu’il s’agisse de la beauté de la photographie, de
l’utilisation souvent très ingénieuse des effets spéciaux, de la qualité de l’interprétation,
de la virtuosité de la mise en scène et, surtout, de la perfection d’un script
tricoté avec une précision redoutable. L’engouement délirant qui a accompagné
la sortie de RRR est bien à la hauteur de la réussite du film. Partout où il a été
vu, il a soulevé un enthousiasme absolument délirant. Des images des cinémas où
le film est projeté en Inde devant une foule déchainée, jusqu’à son accueil à Tokyo ou à Los Angeles,
partout le public est en extase devant l’histoire de cette terrible amitié entre deux
personnage que tout semble opposer.
Après avoir
vu quelques films indiens, la première chose qui me surprend, c’est à quel
point le film semble avoir été pensé pour son exploitation internationale,
mettant en scène une intrigue vernaculaire évidente, mais pourtant totalement
universelle, convoquant toute l’histoire du cinéma à grand spectacle. RRR
semble puiser autant à la fontaine où se sont abreuvés des films comme Le Bon
la Brute et le Truand, ou Conan le Barbare, qu’à son propre folklore, qu’il
prend soin à toujours rendre accessible. Et il réussit cet exploit avec une
maestria qui force le respect. En ça, RRR semble être l’aboutissement pour
Rajamouli d’une vie entière vouée à la puissance du cinéma. Car ce film a beau raconter l’histoire fabuleuse de deux personnages qui vont,
à travers les prémices de la lutte pour l’indépendance de l’Inde, accéder à un
statut de mythe, il est avant tout une déclaration d’amour à cette puissance que peut
développer le cinéma sur nos organes, pour l’œil, l’oreille, les tripes et le cœur.
On pourrait dire que la sympathie
immense que dégage ce film émane déjà de la rigueur de ses images, de la
façon dont Rajamouli peuple et compose ses cadres, pense sa mise en scène, de cette générosité offerte par le soin méticuleux apporté à tous les aspects de sa production. C'est simplement virtuose du sol au plafond, une débauche de moyens toujours justifiée, qu'il s'agisse d'agglutiner quelques centaines de figurants ou de jouer avec le numérique. À ce sujet, après avoir vu le film, allez voir l'épisode de Corridor Crew consacré au film et à la façon dont il utilise de manière ingénieuse cet outil ! D'une manière générale, l'utilisation des sfx est à l'unisson du reste. Et si parfois un animal semble "fake", la foi du metteur en scène dans la suspension d'incrédulité qu'il convoque permet de faire tout passer. Une leçon qui nous montre de amnière insolente que le cinéma peut s’accommoder d'un effet "visible", si la mise en scène est à la hauteur !
Mais ce qui m'a probablement le plus soufflé, c'est la façon dont Rajamouli fait feu de tout bois pour raconter son histoire, par le dialogue, par l'image et par la façon dont les passages musicaux participent à la narration. Ce sont ces idées de mise en scènes démentes et démesurées (la première grande bagarre est à ce titre une sorte de sommet indépassable, que le film va pourtant s'appliquer à constamment dépasser), ou par des idées plus subtiles. Comme lorsqu'un personnage observe la fenêtre de sa cellule dont on ne voit que les barreaux, tandis qu'un travelling avant change la luminosité du plan, nous révélant, in fine, ce qu'il observe. Comme lorsque les deux protagonistes se retrouvent à l'écran, séparés par du fil de fer barbelé. Comme lorsque le héros décoche une flèche enflammée et que le plan s'attarde une seconde sur l'arc une fois la flèche décochée pour montrer que la flamme est restée quelques instants dans son sillage, afin de nous faire comprendre, inconsciemment, comment cette flèche va embraser le cadre dans le plan suivant. Je ne vais pas tenter de faire la liste complète de ces idées brillantes, ça n'aurait aucun sens, c'est plutôt une activité pour les soirées passées en bonne compagnie à boire des coups et à se raconter le film.
Ce qui me fascine, et ce qui place RRR tellement au dessus de tous les blockbusters américains produits depuis tant d'années, c'est cette façon que le récit a de jouer avec le spectateur, son habileté à jongler avec les pay-in/ pay-off, afin de nous mener par le bout du nez, en ayant constamment une, deux ou trois longueurs d'avance. Quel film récent peut se targuer d'être, à ce point, imprévisible, alors qu'on sait évidemment que tout finira bien ! Les gens qui ont vu, et revu, et revu encore RRR n'oublieront pas ce putain de drapeau plongé dans l'eau, ils savent pourquoi ils capturent un tigre, ils sourient lorsqu'ils voient nos deux amis s'entrainer, l'un assis sur les épaules de l'autre. Etc...
Constamment surpris, on est embarqué dans un grand huit qui ne s'arrête jamais, qui pousse l'excitation en balançant des moments de gloire, des scènes spectaculaires qui semblent ne jamais s'arrêter et dont les conclusions délirantes nous propulsent systématiquement sur le prochain morceau de bravoure. C'est proprement prodigieux.
Et puis il n'y a pas que l'iconisation visuelle des personnages (la carriole enflammée, Bheem devant sa fontaine brisée, un tuyau dans la main...), même si je n'avais jamais rien vu de tel en la matière. Il y a aussi, et sutout, une maîtrise folle de ce que c'est qu'un mythe. À ce sujet, j'ai eu l'impression de voir le premier véritable héritier de John Milius, toute l'introduction de Conan a enfin trouvé une descendance à sa mesure. Le flash back sur l'enfance du héros est pour moi le chef d'oeuvre niché au cœur du chef d’œuvre. Load, aim, shoot... putain, trois mots qui se sont imposés aux côtés des meilleures répliques du film de Milius. La façon dont cette scène est amenée, en deux parties, jusqu'à sa révélation complète, cernée par les prestations géniales de Ajay Degn (dans le rôle du père) et d'Alia Bhatt (dans le rôle de la compagne), et poussée par un soundtrack fabuleux fut un moment de bonheur extatique, que j'ai revu, revu, et revu encore et encore. Il y a aussi quelque chose de Mel Gibson dans le parcours sacrificiel du héros, car c'est à travers le sang, la sueur et les larmes qu'il va pouvoir accéder au statut de demi-dieu.
Bref.
Il y aurait mille choses à évoquer, la façon dont les personnages féminins, en retrait face à nos deux protagonistes, tiennent chacune tête face à leur entourage, comment le film célèbre cette lutte de libération nationale à travers un œcuménisme courageux, alors que les tensions entre hindous et musulmans enflamment régulièrement le pays. Comment le film traite le sujet du racisme par une scène de danse déjà inscrite au panthéon de l'histoire du cinéma. Voir le film, le revoir, être émerveillé à chaque fois par la richesse qu'il déploie. Montrer le film et être témoin de la joie qu'il provoque. Bordel, Tollywood vient de mettre Hollywood KO. Fury Road avait été un sommet des années 2010. Rajamouli vient simplement de s'imposer parmis les plus grands pour cette nouvelle décennie.
Je ne mets pas d'extrait, parce qu'il n'y a pas de débat à avoir, y'a pas à tortiller, il faut voir le film. Point barre. À ce propos, attention, il faut faire gaffe à avoir une copie dans la bonne langue, et, malheureusement, plusieurs fichiers de sous-titres en français circulent, certains étant traduits d'une manière misérable, torpillant certains dialogues d'une bien triste manière...
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Pour continuer sur la « Mega Power Star Ram Charan
exploitation », notons deux films franchement tartes, mais qui raviront les
fans et les gens de bonne humeur :
2015 Bruce Lee the Fighter, de Sreenu Vaitla, telugu
Derrière ce titre improbable, nous trouvons une comédie romantique mettant en scène un cascadeur (Mega Power Star Ram Charan donc) pris dans une incroyable suite de quiproquos absolument ridicules. L'intrigue pourrait parfois faire penser à ces vieilles comédies françaises, avec Louis de Funès et Claude Gensac, où se multipliait les embrouilles et les malentendus, les portes qui claques, et les claques aussi d'ailleurs... Je rêverais de voir un remake d'Hibernatus sauce telugu par exemple. Bref, ce Bruce Lee est bien évidemment (très) très loin d’être à la hauteur de la plupart des films chroniqués ici, mais comment nier son plaisir devant cette pochade feel good dans laquelle on se perd avec joie, si on a avec soi une quantité de bienveillance à la hauteur de ce « spectacle » totalement oubliable, mais néanmoins débridé. Reste quand même que j’aime bien cette chanson, parce que de la bienveillance, finalement, j’en avais pas mal sur moi :
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2022
Acharya, de Koratala Siva, telugu
Une communauté de gens très sympas et très pieux
est menacée par des filous sans scrupule qui ne vont pas hésiter à se montrer, eux,
très méchants. Alors que tout semble perdu et qu'un lourd désespoir musèle les habitants de la forêt, déboule alors un groupe de guerilleros
naxalites, des maoïstes super cools qui vont, en dansant, sauver la veuve et
l’orphelin. À noter ici, et c’est surtout pour ça que j’évoque ce film,
que la guérilla est menée par Mega Power Star Ram Charan et son père Mega Star
Chiranjeevi. Alors oui, c’est un film, encore une fois, discutable, disons fort
léger, et finalement plutôt anecdotique, mais regardez moi ce clip, lorsque les maoïstes
entrent en scène…
Qui ne rêverait pas de voir un tel truc chez nous,
avec, je ne sais pas, des combattants de l’ETA qui feraient des claquettes en faisant virevolter
leurs kalashnikovs et sauter des agences immobilières en chanson ? Bon, c'est quand même à réserver aux fans de Mega Power Star Ram
Charan bien sûr !
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Même si on y connait rien, on sait que le cinéma indien est célèbre entre autre pour ses grandes reconstitutions historiques, s'apparentant souvent à des véhicules au nationalisme indien, soft power pas toujours très soft (The Kashmir Files par exemple, abominable pamphlet d’un racisme assez crasse)… Mais certains films offrent néanmoins un spectacle absolument ébouriffant, où les batailles et les belles étoffes volent de concert dans la réécriture fantasmée d’un foisonnant roman national...
2019 Kesari
de Anurag Singh, hindi
Dans la catégorie un peu natio des
grandes batailles du passé, donc, Kesari ("Safran") raconte avec un certain brio et une classe
évidente la résistance acharnée d’une poignée de militaires Sikhs face à une
armée gigantesque de combattants musulmans. Une sombre histoire qui s’est déroulé
à la fin du XIXème siècle, dans le nord est du pays. Pour les néophytes et les
incultes dans mon genre, ça a été l'occasion d'ouvrir un peu wikipedia et de découvrir un peu ce que c'est que le sikhisme.
Et je peux vous assurer que ce flim est bel et bien un flim sur le sikhisme. Il délivre à
peu près tout ce que qu’on attend d’un tel spectacle et, masala oblige (Masala
désigne ces films qui mélangent les genres afin d’attirer le plus de public
possible, on a donc de l’action, mais aussi un peu de romance, des chansons, de la bagarre...)
une histoire d’amour un peu surfaite vient parasiter l’intrigue, tandis qu’avant
que les enfers se déchainent, une chanson fort sympathique, au ton léger et un brin incongru vient secouer un peu tout ça ! On ondule des hanches et on se trémousse en attendant la mort !
Akshay Kumar est
impeccable dans le rôle principal, de toute façon, grâce à son costume et sa
barbe spectaculaire, il n’avait pas grand-chose à faire de plus. La
réalisation, la photographie et la musique du film sont tout à fait corrects, alors le spectateur se laisse embarquer facilement dans ce récit édifiant. Et puis, lorsque j’ai finalement
découvert à quoi servait le Chakkar, cette couronne métallique coincée sur les
turbans, j’ai rangé dans ma poche les quelques réserves que j’avais pour
apprécier ce spectacle politiquement douteux, mais fort jouissif, et faisant feu de tout bois pour satisfaire notre soif de gestes héroïques. Notons aussi qu'à la tête
des combattants musulmans, un cheikh fondamentaliste s’oppose à un autre, plus
magnanime, et prompt à reconnaitre la grande valeur des guerriers sikhs, une
tentative un chouia grossière pour éviter une représentation trop unilatérale des
antagonistes… mais nous ne sommes pas dupes et le film participe à sa manière à
la lutte que se mènent, à cet endroit, l’Inde et le Pakistan.
une occaz' de constater en quelques minutes que le film profite de ses décors incroyables
et promet une sacrée bamboula. Une promesse qu'il respecte !)
Hari hari har ! (clic bordel !)
Disons que la
patate que dégage ce clip musical peine a être maintenue sur les 135 minutes du film… malgré une direction artistique flambante et un Akshay Kumar
toujours aussi cool à regarder !
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Entre la fresque historique et les films de crapules sur lesquels on va se pencher deux minutes, arrêtons-nous sur ce chef d'oeuvre :
✭ 2021
Gangubai Kathiawadi, de Sanjay Leela Bhansali, hindi ✭
L’histoire de ce film est fictive, mais elle
s’inspire de la vie réelle de plusieurs femmes, tel qu’elles ont été racontées dans
un livre qui rencontra il y a quelques années un grand succès et consacré aux
reines de la mafia de Mumbai (Mafia Queens of Mumbai, de S. Hussain Zaidi).
Voila une grande histoire, une belle et grande fresque consacrée à
une jeune fille vendue à un bordel et qui, avec le temps, en prendra non
seulement la tête, mais qui deviendra également la patronne de son
quartier, allant finalement jusqu’à plaider sa cause devant le premier ministre
indien. Durant 3 heures, le film oscille d’un genre à l’autre, balançant entre
une brutalité inouïe et une légèreté presque comique, le long d’une intrigue qui
s’étale sur plusieurs décennies, rythmée par des numéros musicaux de haute
volée, le tout filmé intégralement en studio pour un rendu tout à fait
étonnant. Il y a tant de choses qui pourraient nous détourner d’un tel film, on pourrait craindre l’overdose, et pourtant la mise en scène de Bhansali, le scénario, le soundtrack, la
prestation magistrale d’Alia Bhatt et la présence charismatique d’Ajay Devgan
(tous les deux vus dans RRR) sont d'une implacable virtuosité. La maîtrise est stupéfiante, les cadres du film d'une beauté terrassante et l'émotion que convoque cette tragédie est exténuante. La dimension tragique s'installe peu à peu dans la complexité du personnage central, dans la valeur des enjeux qui se déroulent au fur et à mesure où il se retrouve dépositaire d'une responsabilité ecrasante. Le film commence par coller une paire de baffes au spectateur, mais le coup qu'il nous porte lors du dernier passage musical, révélant toute la fragilité de son héroïne, est fatal. La trajectoire tragique de Gangubai, la reine des putes de
Kamathipura, était une histoire fascinante, et Bhansali lui rend un hommage
admirable. Putain de bordel de merde, quelle émotion.
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Sur un ton un peu plus léger, enchaînons maintenant avec des films jubilatoires mettant en scène et portant au pinacle les rois des crapules !
2018 KGF
Chapter 1 / 2022 KGF
Chapter 2, de Prashanth Neel, kannada
Le premier KGF (Kolar Gold Field) raconte
l’histoire d’un petit gamin élevé par sa mère sans le sou qui, sur son lit de
mort, lui fait promettre de devenir immensément riche. On suit donc la
trajectoire du petit Rocky, gamin des rues qui fait pas de cadeau à Rocky
l’homme de main qui ne fait pas dans la dentelle et qui cherche à devenir le
Bhai, le "boss". Le film est aussi fin qu'un gateau au beurre bricolé par un patissier breton alcoolique, c'est simple, il en fait des caisses
dès qu’il peut, à la moindre occasion et le reste du temps il en fait trop. Porté par une interprétation délirante,
une musique plus pompière que ça tu finis sur un calendrier et une ampleur
absolument hallucinante (en terme de lieux de tournages, de nombre de
personnages ou d’enjeux), pour moi la générosité de KGF révèle tout ce qui ne va plus dans le
cinéma américain qui n’ose plus rien, parce qu’il ne semble plus croire dans la
force que peut offrir le cinéma, ayant perdu de vue ce qui faisait la force brute d'un mythe. Prasahanth Neel lui sait ce qui fait la force d'un mythe, et il va tout faire pour offrir une dimension mythologique à son personnage. Jusqu'à l'absurde, de manière décontractée, mais portant en lui une foi immense dans son entreprise. Sans cynisme, sans se trahir, sans se dégonfler, il ne
prend jamais à la légère l’histoire qu’il raconte, et jamais il ne tente un second degré
ricaneur qui, par un clin d’œil morveux, chercherait à prouver au spectateur que les
auteurs ne sont pas dupes, et que nous sommes au dessus de tout ça. Il y a, pour moi, une foi pratiquement religieuse
dans cette entreprise et KGF, dans sa démesure, avec ses nombreuses qualités et
ses quelques défauts, en est la parfaite illustration. La générosité d’une
telle entreprise contraste donc méchamment avec les blockbusters américains récents. Par
exemple, Top Gun Maverick, aussi sympatoche soit-il, aussi « oh le bel
avion ! » soit-il, fait figure de vulgaire seau de flotte. Une œuvre désincarnée,
semblant avoir été tournée avec une poignée d’acteurs chouchoutés, dans un
environnement stérile, vide, déprimant. Si loin de ces dizaines de figurants qui rappellent le défilé
de pures gueules qu’offrait, jadis, Almeria et l’Andalousie aux westerns
italiens. C’est simple, après avoir vu Top Gun, j’avais envie d'installer
Flight Simulator sur mon ordinateur. Après avoir vu KGF, j’avais envie de
casser des cloisons à coup de masse en chantant à tue-tête. Putain, mais quel bonheur de voir ça.
Du coup, ben oué, salaam Rocky Bhai ! Et sachez que cette
chanson déboule au bout d’une demie heure de film, durant lesquelles il s’est
passé plus de choses que dans tous les blockbusters ricains de ces dix dernières
années ! Et passées ces 30 premières minutes, il reste encore plus de 2 heures de film !
Mieux que ça, il a un autre film qui suit !
Le second KGF va pousser le bouchon un cran
plus loin, fini les bagarres de rue et les embrouilles de mafieux, l’enjeu ici
est politique, et l’ampleur prend une dimension nationale, tandis que la figure
de Rocky devient carrément messianique. Le plus amusant est que le film
s’encre dans une certaine réalité, étant donné que ces mines d’or existent
réellement, et l'ambition d'en écrire une histoire alternative
délirante est une des idées géniales de ce dyptique ! Alors bien sûr, comme pour le premier film, on pourrait s’attarder
sur les défauts du film, peut être un peu trop long, parfois quand même un peu
lourd, ou à l’occasion mis en image de manière un brin douteuse ou soutenu par
des sfx un peu branques… Mais à nouveau, la générosité du bouzin force le
respect. La mise en scène reste fort correcte et le film est, encore une fois, magnifique à regarder. Le spectateur n'a aucun effort à faire pour se laisser emporter par cet ouragan... "Toofan" dans la langue du film, le Kannada. Face à l'attitude morgue d’un des méchants, un
pauvre hère, aveugle, prévient tout le monde : l’ouragan arrive. Putain
Toofan ! Toofan ! Et t’envoies les trompettes pendant que Rocking
Star Yash fait le kéké avec sa masse devant les esclaves libérés qui voient en
lui leur messie. Définitif. Si t’es pas en train de gueuler devant ton écran ou
si t’as pas envie d’aller casser des trucs, c’est que t’es mort. Alors qu’on
pensait avoir tout vu, arrive in fine Jimmy Carter et le film s’achève sur la
perspective d’un troisième opus qui sèche le
spectateur, ahuri dans son fauteuil. Quelle histoire bordel, agréable comme un violent coup de tête, quand c'est toi qui colle le coup de boule.
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2022 Pushpa
the Rise de Sukumar, (hardcore) telugu
Après avoir vu les deux K.G.F, et en attendant le 3, me voila excité comme un type qui a gobé
un parachute de trop et qui se demande comment il va faire pour éviter de
redescendre trop vite au pays des films tout mous où des persos en carton ont des aventures
en plastique. Heureusement, le cinéma indien est plein de ressources. Du coup,
cette année vient de sortir Pushpa : The Rise, sorte de KGF bis où le roi
des mines d’or est remplacé par le roi des essences rares et des arbres qui
coûtent cher. À nouveau, c’est un film de pure crapule, totalement immoral, et donc hautement jouissif. Un film qui porte en lui une partie de la filouterie
italienne des années 70, probablement, encore une fois, grâce à un défilé de
tronches impayables, son héros en tête, avec sa dégaine de Tomas Milian sauce curry. On suit donc ce type, vaguement vagabond, qui
s’incruste dans un trafic de bois rare. Ça n’est plus du cinéma du Karnataka, où
l’on parle le Kannada, mais du cinéma Telugu. « Hardcore Telugu »
même, comme le dit le personnage principal, Pushpa, merveilleusement interprété
par Allu Arjun. Il n’a pas l’épaisseur physique de Rocking Star Yash, mais sa
petite barbe, son jeu d’épaule et son air de canaille font le taf sans souci.
Décontracté, le film s’autorise une déviation vers la comédie romantique,
abandonnant les tartes dans la gueule et les coups de pression pour des moments
absolument consternants de naïveté. Soit. Ça n’est pas vraiment un souci étant
donné que le film ne perd jamais de vue son objectif : donner une
dimension mythologique à ce va-nu-pied qui va devenir, évidemment, le boss des
boss du trafic de tronc d'arbre.
À noter deux chansons absolument géniales dans
le tas, il y en a d’autres, mais elles sont quand même moins cool ! Il y a
donc la chanson qui installe le héros et la menace qu’il représente...
...et une autre plus légère où sa dimension sexy est mise en avant !
Au final, le film n’atteint peut-être pas
l’ampleur du diptyque KGF, mais il reste une récréation fort amusante, soutenue
par des acteurs qui font le taf, la plupart n’ayant qu’à montrer leurs trognes. Le film bénéficie également d'une superbe facture technique, et puis il propose surtout des bagarres aux chorégraphies
inventives et surprenantes… dont certaines... ah ah, non je vous raconte pas. Merde, vous avez qu'à voir le
film !
Je vous coule juste la goules des méchants... bordel, oubliez ce que je viens d'écrire, ça sert à rien de mégoter, c'est absolument mortel.
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La bande annonce, ici, pour se faire une idée !
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2019 Kaithi
de Lokesh Kanagaraj, tamil
Bon, c’est simple, rien que le pitch du film
devrait convaincre tout le monde de lâcher ce qu’il a à faire pour s’intéresser
à ce Kaithi (Prisonnier), réalisé par Lokesh Kanagaraj. Imaginez, des keufs ont fait une
saisie record, 800 kilos de cocaïne. Les chefs mafieux réunissent alors tous
les marlous du coin (on est dans l’état du Tamil Nadu, dans le sud du pays) et
mettent à prix toutes les têtes des keufs. Ces mêmes lardus célèbrent alors leur affaire
autour d’un barbecue, mais la vodka a été empoisonnée ! Ils tombent tous dans
les vappes, sauf un flic, qui ne boit pas, et qui a un bras cassé. Il arrive à
mettre tous les corps de ses collègues inconscients à l’arrière d’un camion et oblige un
mystérieux personnage à prendre le volant. Les tueurs prennent alors en chasse
le camion. Le film, au demeurant fort sympathique, ne fait pas partie de mes
préférés, mais il reste fort bien tricoté, les plans iconiques et les tronches
patibulaires se suivant avec un rythme qui ne faiblit pas ! Du coup, faites-vous votre avis.
La bande annonce
Cette année est sortie une sorte de suite, du moins un film se déroulant dans
le même univers, et qui s’appelle Vikram, toujours réalisé par Kanagaraj. C’est
également une sorte de remake déguisé d’un autre film, datant des années 80.
Bref, de mon côté, je ne participe que mollement à l’enthousiasme général que le film semble avoir soulevé, l'ayant trouvé
plutôt anecdotique, malgré quelques séquences plutôt funkys et malgré la présence de Kamal Haasan (un des méchants de KGF, entre
autre, puisque sa filmo est longue comme le bottin de Mumbai) et de Fahadh Faasil
(Amen, Trance, Pushpa...).
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✭ 2019 Sonchiriya, de Abhishek Chaubey, hindi ✭
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Dans ma petite plongée à travers le cinéma
indien de ces dernières années, voila probablement les auteurs et les films qui
m’ont le plus impressionné. Lilo Jose Pellissery est un réalisateur issu de la
région du Kerala, sur la côte sud ouest de l’Inde où l’on parle le Malayalam et
où la moitié des habitants sont hindous, un quart musulmans et un quart chrétiens.
Et c'est cette communauté chrétienne qui se retrouve au cœur de l’œuvre de
Pellissery, plongeant ses films dans une ambiance très particulière, où sévit un catholicisme exotique et coloré. S'il m'est difficile, pour l'instant, de cerner les particularités du cinéma de cette région, et de ce réalisateur en particulier, disons simplement que l'on dégage certaines obsessions : la nourriture par exemple, la bagarre, les paires de claques et les front kicks claquettes aussi... mais également un recours systématique aux plans shootés du ciel filmant le sol à la verticale ! Il y a aussi un net intérêt à montrer l'humanité comme étant une masse informe et hystérique où la moindre occasion offre un aller sans retour au royaume des paires de claques et aux descentes aux enfers nocturnes...
J’ai découvert la
filmographie de Pellissery à l’envers. J’ai commencé par Jallikattu qui m’avait alors fort intrigué à sa sortie, et lorsqu'il était passé PIFFF. J’ai ensuite découvert le reste de sa filmo
en remontant la piste jusqu’à Amen, son troisième film réalisé en 2013. Je n’ai pas
vu ses deux premiers, Nayakan et City of God, sortis en 2010 et 2011, n'ayuant pu mettre la main dessus... Bon, inutile d'en rajouter, disons simplement que la découverte de Pellissery tient pour moi du miracle. Un cinéma que je cherchais depuis si longtemps, sans jamais le trouver nulle part.
2013 Amen, malayalam
à ne pas être sous titrée, clic !)
Un autre moment incroyable, c’est lorsque
Solomon, déguisé en Jésus Christ pour une fête religieuse, se fait tabasser par
le frère de son amoureuse. Il faut le voir se traîner au milieu de la foule,
recevant des vielles calottes en pleine poire et portant un air de chien battu et une couronne d'épine sur la tête. Aussi tragique que désopilant. Au niveau du cast, on retrouve Chamban Vinod
Jose, un gros nounours ultra charismatique qui aura fait ses débuts au cinéma
dans les premiers films de Pellissery et qui va prendre, progressivement, de plus en
plus d’importance, aussi bien dans la filmo du réalisateur, que dans l'industrie locale. Dans les thématiques présentées, on
trouve déjà ici les idées qui reviendront de manière récurrente dans le cinéma
de Pellissery : le festival, l’hystérie qui grandit, le personnage qui s’amuse
discrètement à foutre la merde dans la communauté (ici au sens littéral)… À coté de ça le film est très correctement
shooté, bien gaulé, bien écrit et propose un sacré paquet de plans magnifiques,
une passion pour les courtes focales. Et si sur ce film je ne suis pas aussi enthousiaste que je pourrais l'être, c’est simplement à cause de ce qui va suivre !
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2015 Eratta Kuzal (Double Barrel), malayalam
Deux ans plus tard, Pellissery sort Double Barrel, une pochade tarantinesque ultra référencée tournant autour de deux cailloux fabuleux que se disputent tous les puissants du monde, depuis l’âge des cavernes, et dont l’histoire nous est racontée au travers d’un dessin animé génial servant de générique au film.
(d'une certaine manière, convoquer ainsi Adolf Hitler et Darth Vader m'a fait
penser au générique fabuleux de Balada Triste, le chef d'oeuvre de De La Iglesia,
même si les génériques, et leurs sens respectifs, sont très différents)
Double Barrel reste pour moi le film le moins intéressant de la carrière de Pellissery, pas tant à cause de ses limites et de ses outrances un peu casse bonbon, que parce qu’il y a dans cette singerie tarantinesque moins de choses intéressantes à découvrir que dans ses autres films plus tournés vers la culture de sa région et de ses villages. Son film suivant va d’ailleurs faire un demi tour à 180° qui va s’avérer fort payant !
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2017
Angamaly Diaries, malayalam
Deux ans plus tard, Pellissery signe donc ces
géniales chroniques d’Angamaly... Et contrairement à Amen, qui semblait être une
petite bluette aux frontières du fantastique, où s’ébrouait joyeusement une
troupe de personnages colorés, nous sommes ici dans une approche plus réaliste, parfois
quasi documentaire, se déroulant
dans les quartiers de Angamaly, une ville bruyante et agitée du Kerala.
Angamaly Diaries raconte donc l’histoire d'une
bande de potes qui grandissent ensemble et qui, arrivé à l'age adulte, seront obsédés à l'idée de former un gang. Ils vont tenter divers petits business, notamment l’élevage de
cochons, et les inévitables bagarres qui découleront de toute cette affaire nous emmèneront à un climax remplis de
bourre-pifs se déroulant lors d’une cérémonie religieuse, entre les pétards et
les feux d’artifice. On retrouve ici les thèmes que le réalisateur, et plus tard son assistant Tinu Pappachan lorsque ce dernier passera à la réalisation à son tour, ne cesseront d'investir : la bouffe, une humanité en proie à l'hystérie et les front-kicks claquettes. La propension
qu’ont ces gens à se battre en tongs est absolument fascinante ! Le film déroule une trame touffue, parfois un brin complexe à suivre, où une foule de personnages s'agitent devant un spectateur parfois un peu largué, jusqu'à ce que les lignes narratives se resserrent, nourrissant une hystérie qui déboulera sur de grandes scènes de bastons où foisonnent donc ces fameux front kicks claquettes et autres pirouettes pif paf aux
surprenantes chorégraphies. Le film s’ouvre ainsi sur une bande de types
partant corriger des mecs déguisés en personnages de la mythologie biblique (!) occupés à picoler dans un bar. L'échauffourée qui va suivre, et son aspect résolument burlesque, me rappelle (à nouveau) le cinéma de De la Iglesia. Il y a, dans cette hystérie
délirante, une évidente proximité, et cette proximité avec le réalisateur espagnol, on y pense régulièrement, notamment au détour
d’une rocambolesque scène d’enterrement où un corps, trop épais, ne permet pas
la fermeture correcte du cercueil, l’empêchant de rentrer dans son caveau,
provoquant… bref, encore une fois, voyez le film.
On découvre ici une galerie d’acteurs
que l’on retrouvera avec grand plaisir dans les films suivants, il y a là la (future) star Anthony
Varghese, mais aussi une tripotée d’autres qu’il serait bien inutile de nommer ici.
Disons simplement que mon pote Chambod Vinod Jose est de la partie,
même si ce n’est là que pour un petit caméo, et qu’on découvre Tito Wilson, que
l’on retrouvera par la suite et dont j’apprécie la bouille aimable et le talent
débonnaire qu’il met au service, ici, d’une belle crapule.
Probablement un chouia moins définitif que les films
qui vont suivre, Angamaly Diaries est tout de même une réussite éclatante,
grouillant de moments fabuleux et de scènes excitantes, portées par un
soundtrack génial que l’on doit à Prashant Pillai. Pillai fait la zik des films
de Pellissery depuis son premier film et restera à ses côtés jusqu’à son
avant-dernier, Jallikkatu. Je serais bien en peine de décrire la zik de Pillai,
aux croisements du folk local et de l’électroclaquette dont on a ici, un
sympathique aperçu :
et là aussi avec le titre
"Theeyame"
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2018
Swathanthryam Ardharathriyill, malayalam
Une petite digression pour évoquer le premier film de Tinu Pappachan, l’assistant de Pellissery sur Angamaly Diaries, et qui sur deux films va développer une oeuvre parallèle, aux obsessions similaires, semblant prolonger ce qu'offrait, parfois de manière retenue (eh oui), Angamaly Diaries. En 2018, donc, il réalise son
premier long métrage au titre alambiqué signifiant « liberté à
minuit ». Et c’est pas forcément fortuit que ce titre rappelle
ainsi Midnight Express, puisqu’après une mise en place un peu fouillie,
le film s’installe dans un récit de prison où Jacob (joué par l'impeccable Anthony Varghese) va chercher à s’évader pour retrouver sa bien aimé, et
régler quelques comptes à coup de taloches. Autour de lui, on retrouve bien évidemment mon gars
sûr Chemban Vinod Jose, et quelques autres comme Tito Wilson. Le film est plutôt cool, et propose évidemment son lot de scènes de bagarres en tongs, dont une qui rappelle fortement la grande baston en prison de The Raid 2. Très sympathique, ce film n'est encore qu'un coup d'essai qui ne sera vraiment transformé qu'au film suivant !
À partir de là, Pellissery et Pappachan vont enchaîner les chef d'oeuvres...
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✭ 2018 Ee.Ma.Yau.
(R.I.P.), malayalam ✭
La même année Pellissery sort Ee.Ma.Yau, abréviation
de Eesho Mariuam Yauseppe, une prière chrétienne que l’on chuchote à
l’oreille des mort. Mon Dieu, suis-je puis me permettre, quel film ! Cette fois-ci, le rôle principal est tenu par mon petit préféré Chemban Vinod
Jose qui interprète le rôle d’un type qui promet à son père, un soir de beuverie, que lorsque le temps sera venu, de
l’enterrer comme un roi. Le soir même, le père décède, le fils va essayer
d’organiser des funérailles grandioses. Rien ne va se passer comme prévu, et de
gaffes en catastrophes, l’enterrement va tourner au désastre, oscillant entre
la comédie, vaudeville et le drame intime. Autant le dire simplement, c’est un
chef d’œuvre. Un film que je vais revoir, encore et encore parce que la
tragédie qui enveloppe progressivement le fils jusqu’à un final déchirant est
l’une des plus belles et poignantes histoires que j’ai pu voir ces dernières
années. Difficile de trouver les mots pour louer la virtuosité de la mise en
scène, la qualité du scénario, de son interprétation et de l’émotion qui se
dégage de toute cette histoire. Comme pour Amen, les humains de cette
communauté chrétienne semblent être, inconsciemment, les jouets de personnages
extraordinaires (dans les deux films, des Anges, même si cet aspect reste en
filigrane, dans le fond du récit). Comme souvent, les personnages évoluent dans
un petit village, une petite communauté chrétienne qui se réunit autour d’une
célébration rituelle. Comme à chaque fois, tout part de traviole au fur et à
mesure que l’hystérie saisit les personnages... Brillantissime.
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✭ 2019 Jallikattu, malayalam ✭
Après l’excellent Ee.Ma.Yau, Pellessiery livre
en 2019 son film probablement le plus connu, et le plus fou à ce jour ! Dans un petit village du Kerala (comme
d’habitude), un boucher et son assistant tuent chaque nuit un buffle pour en
vendre la viande le lendemain matin aux habitants. Un soir, l’animal se libère
et s’enfuit dans la forêt alors tout le village se lance à sa poursuite. Au fur et à
mesure que le temps passe, l’hystérie gagne toute la région, plongeant les
habitants dans la bestialité. Voila le film où la mise en scène de
Pellissery atteint ses sommets. Dès le tout début du film, le réalisateur impose
un tempo étrange alors que nous sont dévoilés les protagonistes du film, leurs routine et leur
environnement, rythmés par le bruit d’une pendule, puis par le score incroyable
de Pashant Pillai. Cette entrée en la matière brillantissime plonge directement cette
intrigue dans une atmosphère à la lisière du fantastique, prélude au déchaînement
halluciné qui va suivre. Bien évidemment, on retrouve devant la caméra les
compères de Pellissery, les deux bouchers étant interprétés par les
incontournables Chemban Vinod José et Antony Varghese et toujours ces obsessions sur la nourriture, la violence et l'hystérie. Un chef d'oeuvre, qui se hisse au dessus d'une mêlée de films déjà tous plus impressionnants les uns que les autres.
Le film s’ouvre sur une légende, un moine s’enfonce dans la forêt pour y capturer un esprit maléfique, il ramasse sur son chemin un pangolin qui va lui indiquer son chemin. Le moine n’a pas réalisé que l’animal est en fait l’esprit maléfique qui va le pousser à se perdre dans la forêt. Bien évidemment, cette fable est une allégorie de l’intrigue du film. Ou peut-être est-ce l’inverse. Si on trouve ici encore les obsessions de Pellissery, notamment autour de la nourriture, ou son gout pour une narration qui semble parfois errer sur un terrain fantastique, l’ambiance particulière que dégage ce petit village contamine le film, jusqu’à son incroyable, et inattendu, dénouement. Si ses films précédents évoquaient parfois une sorte de De La Iglesia indien, cette fois-ci, et c’est probablement un sentiment fort personnel, j’ai pensé à Shane Carruth, au feeling étrange qu’exhale son second long métrage, Upstream Color. Comme pour ce films, j’ai été proprement envouté même si, in fine, je n’ai pas compris grand-chose à toute cette affaire, et qu’il m’a fallut aller voir sur internet les textes d’exégètes au jus qui t’expliquent avec des mots le sens concret de ce que tu as ressenti. Effectivement, quelle histoire ! Pour la première fois, Pellissery a tourné le dos à son musicien fétiche pour commander un score à Sreerag Saji, qui écrit là sa première musique de film. La réussite envoutante et parfois presqu’hypnotisante du film doit beaucoup à cette partition géniale :
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✭ 2022 Ajagajantharam, de Tinu Pappachan, malayalam ✭
Alors que Pellissery était parti tourner son
étrange film de science fiction dans la jungle, son ancien assistant va de son côté
pousser leurs concepts mutuels jusqu’au délire. Ajagajantharam est une
expression malayalam qui évoque l’énorme différence qu’il y a entre une chèvre
et un éléphant, une expression tournant donc autour de l'idée de gigantisme.
Il est ici question d’un festival donné dans un petit bled, autour d’un temple.
Durant toute la première partie du film, vont se presser différents
personnages, une troupe de théâtre à la dérive, l’anniversaire d’un mafieux, un
mariage, des jeunes qui cherchent l’embrouille et deux types qui se pointent
avec leur éléphant. Les évènements vont se succéder, sans qu’on ne comprenne
vraiment grand-chose à tout ce fatras. Et puis, progressivement, au fur et à
mesure que la tension monte et que les égos s’excitent, les différents arcs
narratifs vont se resserrer autour de Lali, l’un des deux cornacs, joué par
l'inévitable Anthony Varghese. La colère et l’hystérie qui se sont emparées du festival vont
alors se cristalliser sur lui et, à partir delà, c’est la ville entière qui veut
maintenant sa peau. Heureusement, Lali a avec lui un éléphant… La bagarre
éclate. Ajagajantharam représente probablement une sorte d’idéal fabuleux pour
moi, une montée de fièvre où se multiplient les images marquantes, une approche réaliste qui vire doucement au
cauchemar surréaliste au fur et à mesure que la nuit s’installe. Si le propos
est peut-être ici différent, il y a une proximité évidente avec la dimension quasi
documentaire d’Angamaly Diaries, et avec la peinture d’une humanité qui sombre
dans ses retranchements reptiliens de Ee Ma Yau et surtout de Jallikattu. Mais Pappachan semble délaisser l'observation d'une humanité à la dérive au profit de ce que représente, cinématiquement parlant, son explosion à travers la violence. Encore un film incroyable, génial, virtuose. Encore une fois, un putain de chef d'oeuvre !
Allez paf ! Front kick direct dans la gamelle de curry !
Musicalement, c'est un festin. Tchékez donc ce morceau, Ollulleru ollulleru, lorsque l'anniversaire du mafieux, le mariage en cours et le festival connaissent un climax festif, avant que tout parte en patates...
qui permet d'avoir un aperçu de la beauté du film ! (clic)
Du coup, aujourd'hui, j'attends avec impatience les prochains films de Pellissery et Pappachan. Pour Pellissery, en 2023 va sortir Nanpakal Nerathu Mayakkam, dont voici un premier teaser intriguant ! Pappachan lui prépare Chaver...
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Pour finir avec le cinéma en malayalam, je citerai deux autres films notables :
2019 Moothon
(« Grand frère ») de Geetu Mohandas, malayalam et hindi
Voila un film assez unique, d’abord parce
qu’il est réalisé et écrit par une femme, ce qui est plutôt rare, voire
exceptionnel pour le cinéma de Mollywood, et puis par les sujets que le film
décide de traiter. Il est ici question d’un jeune gamin, Mulla, qui fuit seul
l’île où il vit pour essayer de retrouver, à Mumbai, son grand frère Akbar. Une
quête qui va faire écho à celle de son frère, narrée en flashblack, et qui va brasser tout un tas d'espoirs
déçus qui sombreront tous, irréversiblement, dans l’horreur. C’est un film qui touille le
sordide et qui, à mi chemin, s’offre une déviation d’une incroyable
délicatesse, offrant à l’horreur de la réalité une dimension tragique
terrassante. Moothon deale sans pudeur avec la prostitution, la toxicomanie, le
trafic d’enfants, la pauvreté, la criminalité et l’homosexualité, c’est une aventure au pays des
marginalisés et des laissés pour compte, c’est une descente aux enfers d’une tristesse
absolue, souligné par un score magnifique. C'est un film d’un courage admirable, qui brille par ses fulgurances
poétiques, un chef d’œuvre nihiliste, porté par une poignée d’acteurs stupéfiants,
Nivin Pauly en tête, absolument terrifiant lorsqu’il expose une gueule ravagée
par l’héroïne et la tristesse. Encore une claque dans la gueule.
« Fun
fact », à l’orphelinat de Mumbai, l’un des gamins parle de sa mère qu’il
présente comme la Reine de Kamathipura
(le quartier des putes à Mumbai), une femme « badass » et qui est une
itération d’une des reines de Mumbai, mis en scène cette année dans Gangubai
Kathiawadi !
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2020, Trance de Anwar Rasheed, malayalam
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Pour clôre, pour l'instant, ce petit tour d'horizon de ce que j'ai vu cette année de plus enthousiasmant, je terminerai par deux films un peu à part...
2018 Tumbbad
de Rahi Anil Barve, hindi
Voila un film assez étrange, une histoire de
malédiction et de cupidité, tournant autour d’une vieille sorcière et d’un
démon, se déroulant dans un coin reculé sur la côté ouest du pays, au début du XXème siècle. Clairement,
ce film à la production rocambolesque (un petit tour sur wikipedia vous
apprendra tout de cette histoire s’étalant sur des années, un film qui a été
tourné, puis intégralement retourné par un auteur qui s’est accroché coûte que
coûte à son projet) semble handicapé par un budget pas à la hauteur des ambitions ici déployées. Au final, le
film est inabouti, un peu boiteux, et certains choix se révèlent malheureux comme le design du
démon, sorte Rascar Kapac écarlate en deça d’une direction
artistique globalement très réussie. Tumbbad, cette ferme à l’abandon au cœur de
terres désolées où il ne s’arrête jamais de pleuvoir est un lieu absolument
fascinant, un cadre spectaculaire parfait pour cette fable sur la cupidité.
Dommage, Tumbbad reste une curiosité intéressante, mais inaboutie.
Le trailer.
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2022 Kantara
de et avec Achyuth Kumar, kannada
Voila un film déconcertant, se déroulant dans un village où les habitants
braconnent et pillent la forêt, et mettant en scène un héros qui picole et jette ses canettes partout, fume
et parle mal aux filles. Face à eux, des gardes forestiers essayent de faire
respecter la loi qui veille à protéger l'écosystème local. Durant tout le film, ce seront les antagonistes de l'intrigue. Ce qui m'a laissé franchement perplexe. Ceci dit, cette intrigue s'entortille avec une autre, plus importante, liée aux croyances locales. Et c'est là que réside l'intérêt majeur du film, dans cette approche pop de rituels étranges, venant d'une région très reculée. À ce sujet, le film est passionnant, et comme il mêle la religion à la bagarre, il est assez fun à suivre. Un objet particulier, mais très curieux !
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Et parce qu'il n'y a pas que le cinéma, Chabd m'a fait découvrir Panchayat, une série comportant pour l'instant 2 saisons et absolument impayable sur un citadin qui se retrouve fonctionnaire à la campagne... Il va alors rencontrer une gallerie de personnages haut en couleurs, et faire face aux difficultés locales. Bien joué, bien écrit et bien foutu, voila une série feel good absolument délicieuse !
Le trailer !
Je vais essayer de mettre cette page à jour régulièrement... Parce que des films comme Muddy, Saani Kaayidham, Thallumaala, Kala et tant d'autres vont probablement rejoindre cette liste ! Et on ne parle ici que de films sortis ces dernières années !