(article publié dans le magazine AAARG)
« Dans la vie
politique américaine, il y a peu de routes aussi fréquentées que celle qui mène
de Washington à Hollywood, de la capitale du pouvoir à celle du glamour » écrit le journaliste Ronald
Brownstein en 1992. Depuis des années, ces connexions sont étudiées, mises à
jour, et de nombreux journalistes se sont interrogés sur les liens qui unissent
le pouvoir militaire à l’usine à rêve. Entre censure et propagande, l’influence
du Pentagone sur une partie du cinéma américain est un secret de polichinelle… Des
œuvres qui vont naturellement dans le sens de l’armée à celles qui tentent de
la remettre en question, entre compromis et négociations, Hollywood semble
avoir cédé énormément aux idéologues de Washington au nom du profit et de
l’efficacité. AAARG! revient sur la liaison contre nature qui unit le cinéma et
l’armée, leurs motivations ainsi que les conséquences de tels rapports.
De Hollywood à
Washington - Partie 1
1900/1941 – La main sur le berceau
1900/1941 – La main sur le berceau
Comme l’explique Lawrence Suid dans
Guts & Glory, son ouvrage
détaillant la fabrication de l’image militaire aux États–Unis, « ces films sont devenus la principale source de connaissances sur
les Américains au combat et les guerres qu’ils mènent contre toutes menaces
extérieures. » Un « inconscient collectif » fabriqué
par le pays le plus puissant au monde et contrôlé étroitement par son armée
nous pousse à nous interroger sur ces images destinées, volontairement ou non,
à remplacer une réalité partagée uniquement par les témoins directs et quelques
spécialistes. Aujourd’hui, il est question du cinéma des origines et
contrairement à ce qui est généralement entendu, la collaboration entre
Hollywood et Washington ne date pas de la Guerre froide, elle est aussi vieille
que le cinéma lui-même. Des premières images truquées jusqu’à la mobilisation
de régiments entiers transformés en figurants, de la fin du XIXe
siècle à l’arrivée de l’Amérique en guerre : c’est la chronique d’une
coucherie ininterrompue où comme l’expliquent Barthélémy Courmont et Erwan
Benezet dans leur ouvrage Hollywood
Washington, « les conflits sont
illustrés à la fois par des images réelles et des films de fiction ; le
moindre des paradoxes n’étant pas de voir des cinéastes professionnels chargés
de produire les premières alors que d’authentiques combattants participent aux
seconds ».
Le 15 février 1898, le cuirassé américain Le Maine est détruit
dans la rade de La Havane. En avril, l’Amérique déclare la guerre à l’Espagne.
C’est le premier conflit que le très jeune cinéma américain va connaître et la
guerre, qui ne durera que quelques mois, est bien trop courte et bien trop
exotique pour passionner les cinéastes européens. Aucun réalisateur américain
n’ayant pu se rendre à Cuba, théâtre des opérations, ces pionniers vont
utiliser le système D et faire preuve de débrouillardise. Ce sont les premiers
mystificateurs de l’histoire militaire du cinéma d’Hollywood. Juste avant
l’ouverture des hostilités, J. Stuart Blackton et Albert Smith réalisent pour
leur compagnie Vitagraph un petit film, Tearing down the Spanish Flag, où un
soldat américain remplace le drapeau espagnol par la bannière étoilée. « Projeté sur un écran de dix mètres, l’effet
sur l’audience était sensationnel et ça nous a poussés à chercher d’autres
sujets similaires » explique Smith. Pendant des années, on pensa que
le film était un témoignage historique des évènements. Il faudra attendre près de
30 ans pour que Blackton finisse par reconnaître que ce dernier n’est pas
authentique mais qu’il a été tourné sur le toit d’un immeuble de New York. À
ces images vont suivre celles de dizaines d’autres petits films bidonnés,
narrant les exploits des Rough Riders,
la brigade de cavalerie de Roosevelt, ou se faisant témoins de batailles
navales reconstituées dans des bassins. Des manipulations souvent grossières
mais qui impressionnent un public encore naïf.
Hollywood se développe rapidement et les velléités des États-Unis
de s’imposer sur un terrain jusque-là dominé par les Européens vont déboucher
sur la production des premiers longs métrages et des premières
superproductions. En 1915, David Griffith signe avec The Birth of a Nation (Naissance
d’une Nation) une œuvre monumentale, par les moyens mis en œuvre, et
par son importance artistique et historique. Alors que la guerre commence à dévaster
l’Europe, Griffith plaide pour l’unité du pays et interroge le public américain
sur son histoire autant qu’il en propose une relecture militante, offrant une
imagerie dantesque au nouveau Ku Klux Klan qui se reforme dans les mois suivant
la sortie du film. Pour réaliser sa spectaculaire reconstitution de la guerre
de Sécession, Griffith se tourne vers l’académie militaire de West Point qui
fournira canons et conseillers. Avec plus de 100 000 dollars de bénéfice
rapidement engrangés, Naissance d’une Nation pourrait être
sous-titré Naissance d’Hollywood. Un
modèle est né et si Hollywood va se développer à partir de succès comme
celui-ci, c’est aussi pour l’armée des États-Unis la promesse de perspectives
inédites.
1915, la guerre déchire l’Europe et l’Amérique est divisée
sur la position qu’elle doit tenir. À Hollywood, Blackton achète les droits du
roman Defenseless America d’Hudson Maxim et l’adapte à l’écran sous
le titre The Battle Cry of Peace (L’invasion des États-Unis). Par son
sujet et sa démesure folle, ce film de guerre, aujourd’hui disparu, pourrait
être considéré comme le prototype de tous les blockbusters mettant en scène
l’agression des USA et que le cinéma américain semble produire en masse depuis
toujours. Blackton ne fait pas de mystère sur les raisons qui l’ont motivé à
produire ce film. Résolument va-t-en-guerre, Blackton militait pour que
l’Amérique augmente son potentiel militaire et pour une intervention en Europe
aux côtés des alliés. Il est alors accusé par une partie des intellectuels de
vouloir pousser les gens au bellicisme pour des intérêts privés, Hudson Maxim
ayant des parts dans l’industrie de l’armement. Mais Blackton se sent
entièrement légitime, bénéficiant du soutien total de Roosevelt qui va mettre à
la disposition de Vitagraph un régiment complet de Marines pour le tournage de
son film.
L’histoire tourne autour d’un groupe de pacifistes engagés
pour un désarmement de l’Amérique alors qu’ils sont manipulés par un agent issu
d’une puissance européenne qui va déclencher la guerre contre les USA. Dans
cette Aube Rouge du début du siècle,
l’invasion qui suit ravage les principales villes de la côte Est les unes après
les autres. Les gratte-ciel de Manhattan s’écroulent, le Capitole est en ruine
et la Statue de la Liberté est décapitée. Le final du film se permet un
nihilisme que la plupart des productions actuelles ne pourraient pas se
permettre : tout le monde meurt, jusqu’aux filles du pacifiste, « tuées par leur propre mère pour leur
éviter d’être violées par des envahisseurs ivres »… Le film est un
succès considérable, porté par une campagne publicitaire aux dimensions inédites
(des tracts du film sont largués par avion) et par la spectacularisation d’un
débat jusque-là théorique. Il semble entendu que le l’œuvre a eu une influence
sur la militarisation du pays, pesant dans le débat public et ringardisant la relative
pusillanimité des premières bobines traitant de la guerre.
Durant ces années qui précèdent l’entrée en guerre des États-Unis,
l’armée comprend rapidement l’intérêt de travailler avec Hollywood. Le cinéma
passionne les foules et la Navy réalise que les films qui mettent en avant l’héroïsme
de la Marine américaine permettent par exemple de sensibiliser des jeunes du
centre du pays qui n’avaient probablement jamais vu la mer auparavant. Face aux
autres corps d’armée qui n’ont que des photos à présenter, elle peut s’enorgueillir
de son efficacité à séduire cette population avec des bobines d’actualité ou
des films. Lorsque la guerre éclate, il n’est plus question de neutralité et
les débats qui agitaient l’Amérique font place au fracas des machines de
guerre.
Pour faire la promotion des obligations de guerre, on imprime
des affiches reprenant une scène du film de Blackton et des acteurs célèbres
comme Douglas Fairbanks et Charlie Chaplin courent le pays pour mobiliser les
foules. Malgré un ralentissement de
l’aide militaire dû à la mobilisation, Hollywood participe à l’effort de guerre.
Les images de soldats prussiens dépeints comme des sauvages sanguinaires se
répandent sur les écrans. C’est le cas en 1918 avec Le Sceptique (The Unbielever), un succès
fracassant qui a bénéficié d’une aide logistique apportée par le corps des
Marines, qui va offrir au film une exploitation parallèle en le diffusant dans
ses centres de recrutement et en envoyant des copies dans ses bases à
l’étranger. Si Hollywood va utiliser massivement les ressources de l’armée pour
donner l’illusion de la réalité et rendre ses films plus spectaculaires,
l’armée va utiliser Hollywood sans relâche comme une usine fabriquant sa propre
propagande.
Ces deux pôles mettent ainsi en place une coopération qui va
courir sur tout le siècle, connaître des hauts et des bas, mais jamais aucun divorce.
Ils mettent également en place les bases d’un certain cinéma, celui de la sécurité
nationale, porté par l’affirmation des mythes américains. À la sortie de la
guerre, le président Wilson affirme : « Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette
nation et que nous sommes choisis pour
montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers
de la liberté ». Du haut
de sa colline, l’Amérique envoie ses troupes, et son cinéma, persuadée d’être
en mission divine. À partir du début des années 20, l’Armée de terre, qui ne
s’était jusqu’alors guère investie sur ce terrain, réunit des milliers de
cavaliers pour America de David Griffith, encouragé par le nouveau président
Coolidge qui est persuadé que le film aura un impact positif sur le peuple et
qui offre ainsi aux caméras de Griffith la plus grande concentration de militaires
hors conflit.
Ainsi, à cette époque, les tournages se multiplient et
provoquent le besoin d’un process d’autorisation centralisé. Chaque corps
d’armée va alors rédiger en secret un premier guide de coopération, nommer un
responsable chargé de décortiquer les scénarii et d’y biffer tout ce qui
pourrait contrevenir à l’image que la Défense souhaite projeter. Parce que tous
les réalisateurs ne sont pas tous de zélés militaristes comme Blackton, l’armée
veut veiller à ce que ses intérêts ne soient pas contrariés. Hollywood est loin
de présenter une homogénéité militariste. En 1925, La Grande Parade (The Big Parade) de King Vidor est
une réussite artistique et populaire qui offre des scènes de batailles d’un
réalisme jusque-là jamais vu au service d’une dénonciation des horreurs de la
guerre. En 1930, c’est À l’Ouest, rien de nouveau
(All Quiet on the Western Front) de Lewis Milestone qui, au-delà de son succès, va cristalliser une
partie des critiques pour son pacifisme…
À sa sortie en 1924, la pièce de théâtre de Laurence Stallings, What
Price Glory ?, est
clairement perçue comme une dénonciation de la guerre et les différents corps
militaires œuvreront de concert pour tenter de l’interdire. Mais lorsque Raoul
Walsh l’adapte au cinéma il en fait une comédie, malgré son ambition initiale
de représenter la guerre non comme une épopée romantique mais comme un carnage
absurde. D’après Eileen Bowser, archiviste du cinéma américain, What
Price Glory ? n’est que « la
célébration archétypale de la guerre comme un jeu pratiqué par des camarades fêtards
», diluant le sel de la pièce dans une succession de vignettes qui
serviront de modèles à tout un pan du cinéma. En 1927, un nouveau pas est franchi lorsque William
Wellman met en scène une superproduction démentielle : Les
Ailes (Wings). Il bénéficie d’un investissement « corps et âme » de l’armée et
surtout de l’arrivée de la future Air Force américaine sur le terrain du
spectacle populaire. Une collaboration massive obtenue grâce à l’aide du chef
du Secrétariat à la défense, Dwight Davis, ainsi qu’à l’expérience du
réalisateur, un ancien pilote de chasse ayant gardé de bons contacts avec ses
anciens camarades. Des centaines d’avions, 3 500 fantassins, les moyens
offerts à Wellman témoignent de la volonté d’investissement de l’armée dans
l’industrie cinématographique.
1929, une crise économique sans précédent entame le moral des
américains qui vont alors bouder les reconstitutions de la Grande Guerre et se
tourner vers les comédies légères, les histoires d’amour ou les musicals. Bien qu’on s’éloigne de la
représentation des combats, le cadre ou le décor de ces films sont bien souvent
militaires, laissant ainsi leur contrôle à l’escarcelle de Washington. Pendant l’Âge
d’Or des années 30, aucun film n’atteindra l’orgie militariste des Ailes
de Wellman, mais une flopée d’œuvres sont produites, exaltant la vie de
caserne, présentant les officiers de la Marine comme une élite prestigieuse où
rutilent uniformes et bonnes manières. Des figures s’imposent, elles
deviendront bientôt des clichés.
À la fin des années 20, les bricolages des débuts sont
terminés. L’arrivée progressive du son et l’escalade des budgets vont rendre Hollywood
dépendant des banques, et donc du pouvoir politique. À cause de la crise, le
cinéma américain a besoin des investissements des banques privées, ce qui va
accroître cette dépendance jusqu’à devenir une véritable servilité dans les
années 30. C’est à cette époque qu’émergent les majors, huit studios (Warner,
Fox, MGM, RKO, Universal) qui contrôlent pratiquement l’intégralité de la
production. Huit interlocuteurs devant s’aligner sur les positions
gouvernementales et aux ordres du pouvoir militaire.
Lorsqu’en 1936 la Columbia lance la production de Devil’s
Playground (La Danseuse de San Diego), la Navy est agacée. Le film dépeint
un accident de sous-marin et l’armée est anxieuse à l’idée qu’on puisse
remettre en cause son matériel. L’un des personnages pose également problème,
il est alcoolique et manipulé par une femme. Aucune aide ne sera fournie avant
que les militaires ne soient satisfaits, ce qui entraîne la colère du
scénariste. Si, à la rigueur, le film peut se passer du concours actif de la Navy, cette dernière a établi quelques
années plus tôt qu’un refus lors d’un accord de coopération entraînerait
l’impossibilité d’utiliser des images d’archives. Coincée, la Columbia fait
taire son scénariste et reprend les négociations pour qu’un officier en supervise
son remaniement. Au final, l’armée accepte de considérer que le personnage
féminin qui piégeait le militaire n’est qu’une femme de petite vertu et qu’elle
ne peut être confondue avec une honorable femme de marin. Le film va rejoindre
la liste des thrillers relatant le sauvetage d’un équipage en perdition, des
œuvres rassurantes affirmant que jamais la Navy n’abandonne ses hommes et
qu’elle a toujours la capacité de les sauver.
Si certaines majors sont dans la négociation, d’autres assument totalement les règles du jeu et organisent elles-mêmes leur soumission. Parce qu’elle a besoin d’un sous-marin et de conseillers techniques pour son drame subaquatique Submarine D-1 (Le sous-marin D-1), la Warner propose directement le scénario à la Navy. Ils souhaitent que le film soit le plus réaliste possible, alors ils demandent des conseils… Mais difficile de voir autre chose que l’affirmation d’une véritable allégeance lorsque le scénario est offert aux esprits suspicieux de l’armée afin qu’ils coupent ou modifient eux-mêmes toutes scènes pouvant poser problème. Il s’agit purement et simplement d’un cinéma de propagande et la lutte des auteurs, ou des scénaristes, contre les intérêts militaires, politiques et industriels semble perdue d’avance. Chaque corps d’armée considère que la modification d’un scénario est une juste récompense aux moyens offerts. Que l’armée fournisse ainsi ses services à des entreprises privées contre l’assurance de son autopromotion commence à soulever des interrogations. Les premières voix qui vont critiquer cette collaboration sont celles de citoyens qui pensent que la Warner aurait dû payer la Navy pour l’utilisation de son matériel, ainsi que quelques groupes d’intérêts qui jugent qu’il est scandaleux que l’armée participe à des films qui la présenteraient sous un mauvais jour. « Si uniquement des choses positives étaient dites sur l’armée, alors ça sonnerait faux et le public percevrait le film comme de la propagande » doivent se défendre, sans rire, les responsables des relations publiques de la Navy…
Les critiques les plus sévères viendront des rangs des isolationnistes qui voient d’un très mauvais œil les films qu’on appelle « preparedness », ces films produits durant les années 30 et qui préparent l’opinion américaine à entrer en guerre. C’est une partition déjà connue que jouent ces remakes « bigger & louder » des films du milieu des années 10. Gerald Nye, un politicien républicain à la tête d’un comité d’enquête, est persuadé que la participation à la Grande Guerre a été décidée par des banquiers et des marchands d’armes. Il soupçonne Hollywood d’être leur nouvel allié en s’attaquant à la « raison du peuple américain », réveillant la « fièvre de la guerre ». En 1941, lors d’un discours au Congrès, Gerald Nye accuse publiquement les huit majors de vouloir pousser l’Amérique dans la catastrophe de la guerre et exige des réponses. Ces dernières réfutent toute idée de propagande et insistent sur le fait qu’elles ne font qu’illustrer la réalité, prenant le succès public de leurs productions comme garant de leur bonne foi. La Warner assure : « Nous aurions honte si le gouvernement nous avait fait de telles demandes. Nous avons produit ces films volontairement, et avec fierté. » La commission renvoie son délibéré au 8 décembre 1941.
Si certaines majors sont dans la négociation, d’autres assument totalement les règles du jeu et organisent elles-mêmes leur soumission. Parce qu’elle a besoin d’un sous-marin et de conseillers techniques pour son drame subaquatique Submarine D-1 (Le sous-marin D-1), la Warner propose directement le scénario à la Navy. Ils souhaitent que le film soit le plus réaliste possible, alors ils demandent des conseils… Mais difficile de voir autre chose que l’affirmation d’une véritable allégeance lorsque le scénario est offert aux esprits suspicieux de l’armée afin qu’ils coupent ou modifient eux-mêmes toutes scènes pouvant poser problème. Il s’agit purement et simplement d’un cinéma de propagande et la lutte des auteurs, ou des scénaristes, contre les intérêts militaires, politiques et industriels semble perdue d’avance. Chaque corps d’armée considère que la modification d’un scénario est une juste récompense aux moyens offerts. Que l’armée fournisse ainsi ses services à des entreprises privées contre l’assurance de son autopromotion commence à soulever des interrogations. Les premières voix qui vont critiquer cette collaboration sont celles de citoyens qui pensent que la Warner aurait dû payer la Navy pour l’utilisation de son matériel, ainsi que quelques groupes d’intérêts qui jugent qu’il est scandaleux que l’armée participe à des films qui la présenteraient sous un mauvais jour. « Si uniquement des choses positives étaient dites sur l’armée, alors ça sonnerait faux et le public percevrait le film comme de la propagande » doivent se défendre, sans rire, les responsables des relations publiques de la Navy…
Les critiques les plus sévères viendront des rangs des isolationnistes qui voient d’un très mauvais œil les films qu’on appelle « preparedness », ces films produits durant les années 30 et qui préparent l’opinion américaine à entrer en guerre. C’est une partition déjà connue que jouent ces remakes « bigger & louder » des films du milieu des années 10. Gerald Nye, un politicien républicain à la tête d’un comité d’enquête, est persuadé que la participation à la Grande Guerre a été décidée par des banquiers et des marchands d’armes. Il soupçonne Hollywood d’être leur nouvel allié en s’attaquant à la « raison du peuple américain », réveillant la « fièvre de la guerre ». En 1941, lors d’un discours au Congrès, Gerald Nye accuse publiquement les huit majors de vouloir pousser l’Amérique dans la catastrophe de la guerre et exige des réponses. Ces dernières réfutent toute idée de propagande et insistent sur le fait qu’elles ne font qu’illustrer la réalité, prenant le succès public de leurs productions comme garant de leur bonne foi. La Warner assure : « Nous aurions honte si le gouvernement nous avait fait de telles demandes. Nous avons produit ces films volontairement, et avec fierté. » La commission renvoie son délibéré au 8 décembre 1941.
Le 7 décembre, des centaines de bombardiers japonais fondent sur
Pearl Harbour et balaient tous les discours isolationnistes, clôturant le débat dans le fracas et la stupeur. Comme
l’explique Lawrence Suid, « [Hollywood]
a bercé la nation dans une fausse impression de sécurité. La croyance qu’aucun
ennemi n’oserait défier la puissance de l'armée américaine, ou attaquer le territoire
américain, a sans doute fait de Pearl Harbour quelque chose d’encore plus
traumatisant ». Pendant plus
de 20 ans, l’Amérique a été préparée à la guerre, elle a suivi, et approuvé, le
développement de son armée et s’est mobilisée lors des larges campagnes de
recrutement. C’est le cinéma qui a porté la voix des militaires dans chaque
ville des États-Unis. Qu’importe si le spectacle de désolation qui va dès lors
s’imposer sur le monde n’aura que faire des bonnes manières des officiers de la
marine, l’armée américaine n’est pas prête de lâcher la main de ce qu’elle peut
considérer comme étant son cinéma.
À suivre, un retour sur Wings
de Wellman.
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