jeudi 22 septembre 2016

THE WARRIORS – LES GUERRIERS DE LA NUIT - AAARG #07




 Article publié en Janvier 2015 dans la revue AAARG #007

http://www.aaarg-editions.fr/6-aaarg-mensuel



« Savez-vous compter merdeux ? Je dis que l’avenir sera à nous si vous savez compter ! » Ainsi parle Cyrus à des dizaines de marlous massés dans un parc du Bronx. Ainsi commence Les Guerriers de la Nuit, un de ces films qui représenta, entre Orange Mécanique et Mad Max, ce qu’on appelait alors à la fin des années 1970 l’ultra violence. Depuis, les Warriors courent toujours. Le film a aujourd’hui 35 ans, et même si sa brutalité semble désormais bien timide en regard des standards actuels, il continue d’inspirer la culture populaire : au cinéma (on peut par exemple voir l’affiche du film dans American Gigolo, mais également dans le navrant Cyprien), à la télé (les Simpsons ou Robot Chicken y ont fait régulièrement référence) ou en musique (le groupe de hardcore brésilien I shot Cyrus a fait sa carrière autour du film, Method Man l’a samplé et Booba s’est déguisé en Baseball Fury pour un clip) et jusque dans l’univers du jeu vidéo puisqu’il a inspiré le classique du beat them all japonais Renegade et a annoncé le cultissime Double Dragon. Les gens qui ont eu La 5 de Berlusconi comme baby-sitter savent pourquoi il est important de ne pas oublier ce film. Pour les autres, sachez que si on consacre quelques pages à ces Guerriers de la nuit, c’est parce qu’ils se tiennent discrètement dans chaque recoin de notre inconscient collectif, et qu’il est temps de les honorer. 


 

« Warriors, la partie va commencer ! »
Luther
Cyrus, le chef des Riffs, la bande la plus puissante de New York, convoque des émissaires de toutes les autres bandes de la ville à un immense conclave dans le Bronx. Il exhorte alors la foule, évoquant un futur où toutes les bandes unies pourraient contrôler la ville, mais se fait rapidement abattre par le chef des Rogues, Luther. Une bande est accusée par erreur d’avoir fait le coup, ce sont les Warriors. Le film est l’histoire de la débâcle de cette nuit-là et de leur périple, mené par Swan. Sur la route qui les ramène chez eux, à Coney Island, les bagarres avec les autres gangs et la police vont se succéder. Finalement chez eux, au petit matin, ils retrouvent les Rogues sur la plage. Le film se conclut par l’intervention des Riffs, désormais au courant de l’identité des véritables assassins. Ils saluent respectueusement le courage des Warriors et massacrent Luther et ses hommes. 





« Le genre de bande à laquelle appartenait mon père, c’était les communistes ! »
Sol Yurick
Pur produit des seventies, le film puise cependant ses racines dans les années 1950 dont la réalité sociale a inspiré le roman Les Guerriers de la Nuit à Sol Yurick. Yurick est né dans les années 1920, au sein d’une famille d’immigrants juifs, politiquement très actifs. Il s’installe à New York et, après la guerre, s’engage dans l’aide sociale, passant des années à fréquenter jeunes et familles en difficulté. Il va alors étudier la délinquance juvénile et les structures parallèles qui s’échafaudent sur cette misère : « Les gangs qui combattaient comprenaient des centaines de personnes, c’étaient de véritables armées… »
En 1965, Yurick écrit donc Les Guerriers de la Nuit, une plaisanterie dit-il, rédigée en trois courtes semaines. L’histoire, vaguement similaire au film, tourne autour d’un groupe de très jeunes voyous qui cherchent avec leur bande à recréer une structure autoritaire pour se protéger du chaos qui règne autour d’eux. Idiots et désespérés, aussi méchants qu’immatures, les gamins du roman de Yurick se débattent comme ils le peuvent dans un monde qui n’est pas à eux et qu’ils cherchent à dominer. À travers une brutalité extrême, le gang leur permet de reconstruire des rituels et une hiérarchie leur offrant un cadre pour affronter la ville, les « Autres » et les gamins des blocs voisins. Le livre, issu de l’expérience de Yurick sur le terrain, est une chronique des angoisses de cette jeunesse new-yorkaise livrée à elle-même. Finalement, bien plus que les autres gangs, ce sont leurs propres peurs, rationnelles ou pas, et leur isolement social que les personnages vont passer la nuit à affronter. Proche parfois d’un récit comme Sa Majesté des mouches, il se dégage un désespoir profond de ces gamins qui passent leur nuit à se persuader qu’ils sont des « Hommes » avant de s’endormir, dans les dernières lignes du livre, épuisés et le pouce dans la bouche…

 
 



« Je me souviens avoir été impressionné, Sol Yurick avait une telle charge politique
et puis Walter était ce type post-Peckinpah qui avait un côté cow-boy viril,
avec un code d’éthique et d’action… »
David Patrick Kelly « Luther »

1969, quelques années après sa publication, le producteur Lawrence Gordon achète les droits du roman pour le compte d’AIP, une boîte de production spécialisée dans la série B. David Shaber est engagé pour en écrire le scénario. Gordon balance un jour le bouquin à son ami Walter Hill et lui demande de le lire. Hill, futur réalisateur de 48 heures et qui à l’époque venait de réécrire le scénario d’Alien qu’il allait produire avec sa boîte, apprécie la puissance du récit mais décline l’offre pensant que personne ne les laisserait adapter un tel script. « C’était trop extrême, trop bizarre » explique-t-il aujourd’hui, « Nous allions faire un western mais tout a été annulé. [Gordon] m’a rappelé pour me demander si je voulais bien faire ce truc de gangs parce qu’il pouvait toujours l’amener à la Paramount. » Une semaine plus tard il est à New York pour débuter la préproduction du film.
Le deal avec la Paramount repose sur la promesse que le film sera tourné rapidement et qu’il ne nécessitera qu’un budget réduit. Green-lighté en avril 1978, il sortira effectivement moins d’un an plus tard, en février 1979. Un exploit, même si le tournage a explosé le calendrier… « Une des raisons de la brouille avec la Paramount, explique Hill, c’est qu’on a été en retard. On s’est complètement trompés à ce niveau. Le film a été tourné durant l’été 78 et nous on était des gars de Los Angeles, on n’a pas compris à quel point les nuits de New York sont courtes durant l’été. De plus, à cette époque, les contrats stipulaient que l’équipe avait une heure pour le repas, ça prenait un temps fou pour tout réorganiser. Finalement on avait des journées de travail réduites de moitié par rapport à un jour normal à Hollywood. En même temps on a travaillé très rapidement et je pensais tout faire en 30 jours, mais on a été bien au-delà… »
Ils vont également être confrontés aux difficultés inhérentes à un tournage dans les rues de New York. À toute heure, même la nuit, ces dernières restent peuplées de badauds qui se pressent autour du plateau et gênent le tournage. Il y a aussi les véritables gangs de la ville qui ne tardent pas à se manifester. Tout d’abord, ce sont les Homicides de Coney Island qui ne voient pas d’un très bon œil qu’une autre bande, même fictive, occupe leur territoire. La consigne est alors claire, aucun acteur ne doit se promener avec son costume en dehors du plateau afin d’éviter toute provocation. Pour la scène du cimetière, un grillage est dressé tout autour du plateau pour en assurer la sécurité et empêcher les incursions. Nuit après nuit, l’ambiance va rester très tendue : des loubards, déçus de ne pas avoir été choisis au casting, vont menacer de mort les membres de la production ; certains attaqueront même le plateau, tenteront des extorsions ou jetteront des briques pendant que d’autres urineront sur l’équipe depuis un toit… Les Mongrels, un gang local, sont engagés à prix fort pour protéger les camions pendant que de véritables gardes du corps protègent les acteurs. Pour la scène du conclave, des dizaines et des dizaines de figurants sont embauchés, dont de nombreux membres de gangs. Chaque matin, pour arriver à récupérer les costumes, la production met en place une tombola. Chaque figurant reçoit son costume au début de la nuit et doit le rendre au petit matin. Lorsque le costume est rendu, on offre en échange un ticket de tombola, et tous les matins, des lots sont tirés au sort. Le système fonctionne quelques jours, jusqu’à ce qu’un gagnant, quittant le plateau avec sa TV couleur, se fasse agresser par une partie des jeunes. « De temps en temps, des gars venaient nous brancher, ils nous demandaient si on pensait être des durs… On répondait nan, on est juste des acteurs ! » raconte Terry Michos, l’interprète de Vermin.

 



 « Parfois, je me demandais si c’était un film ou un marathon. »
Marcelino « Rembrandt » Sanchez

Le 9 février 1979, le film sort aux États-Unis dans une combinaison de 670 cinémas, porté par des critiques positives  et notamment celle de Pauline Kael que la Paramount décide d’utiliser comme argument publicitaire. Certaines critiques moins positives, comme celle de Variety, promettent que le film va être « une réussite pour les foules bagarreuses ». Trois jours après la sortie, le 12 février, un type se fait tuer dans une rixe qui éclate dans une salle. Le 15, à Boston, un affrontement entre bandes devant un cinéma projetant le film provoque un nouveau décès. Le même soir, à Palm Strings, un autre gars se fait tuer dans un drive-in… Rappelant la calamiteuse sortie anglaise d’Orange Mécanique, la rumeur enfle à travers tout le pays que le film provoquerait le chaos partout où il serait exploité. Des associations de citoyens, l’Église et d’autres groupes d’influence organisent des manifestations hostiles au film. La Paramount propose d’offrir un service de sécurité aux cinémas qui le souhaitent, et annule une semaine plus tard la campagne d’affichage qui avait coûté 100 000 $. En effet si, dans le film, la menace est tournée vers les gangs eux-mêmes plutôt que vers le public, l’affiche, avec sa masse de jeunes faisant face aux spectateurs et surtout sa tagline, est accusée d’exciter les bagarreurs : « Voici les armées de la nuit. Ils sont 100 000. Ils sont cinq fois plus nombreux que tous les policiers de la ville. Ils pourraient diriger New York. » Les nouvelles affiches sont blanches, simplement illustrées par le lettrage du titre. Au même moment la bande annonce est censurée. Lorsque le narrateur explique « qu’entre eux et la sécurité se tiennent 20 000 policiers et 100 000 ennemis jurés » un bip est placé sur « 20 000 » et « 100 000 ».
En France, c’est encore pire, Les Guerriers de la Nuit fait partie de cette petite poignée de films qui écopent, à la fin des années 1970, d’un classement X pour violence. Malgré une tentative de passage en force grâce à une présentation au festival de Deauville, le film est ixé par le pouvoir giscardien le 25 Juin 1979. L’année suivante, CIC exploite une copie interdite aux moins de 18 ans, tronquée d’une douzaine de scènes, provoquant la colère de Walter Hill étalée dans une lettre publiée par l’Express. Il faudra attendre 1984 pour que le film soit exploité intégralement, frappé ce coup-ci d’une simple interdiction aux moins de 13 ans. En bout de course, il rapportera 22 millions de dollars, un succès mitigé…




De cette sortie chaotique, Les Guerriers de la Nuit garde une réputation d’ultra violence qui peut aujourd’hui prêter à sourire. Un malentendu pour un film qui propose un spectacle onirique aux antipodes de l’horreur sociale dépeinte par Yurick. D’abord parce que le livre, à l’instar du roman L’Orange Mécanique ou de ce qu’on peut lire dans le scénario original de Mad Max, traite d’une bande de gamins âgés de seulement 14 à 17 ans. En mettant en scène de jeunes adultes, Hill dégage une partie des considérations sociales et politiques inhérentes à la représentation de la délinquance juvénile et recentre son récit autour de l’action et de l’odyssée métaphorique qu’entreprend la bande de Coney Island. Et si le film ne s’embarrasse pas d’une analyse sociale c’est surtout qu’il évolue sur le terrain mythologique.

Chez Yurick, l’un des enfants lit une adaptation en comic book de l’Anabase, écrit par l’athénien Xénophon vers le quatrième siècle avant Jésus Christ. Il s’agit du récit de la retraite de plus de 13 000 mercenaires grecs engagés par Cyrus le Jeune pour rejoindre la Mésopotamie combattre son frère Artaxerxès II. Suite à la mort de Cyrus et menés par Xénophon, les mercenaires ont dû fuir à travers tout l’Empire perse, affrontant de nombreuses situations hostiles, jusqu’à ce qu’ils parviennent à atteindre le détroit des Dardanelles et à incorporer l’armée de Thibron. Métaphore offrant une dimension symbolique à l’aventure des gamins et à leurs rêves d’héroïsme, l’Anabase n’apparaît plus dans le film qu’en filigrane. Au-delà de l’intrigue basique et de sa conclusion en bord de mer, il reste le nom du leader, Cyrus, dont la mort provoquera la débandade et peut être la référence à la guerre de Troie avec le nom du plus va-t-en-guerre de la troupe : Ajax. Pourtant, ce lien est à l’origine de la structure sur laquelle Hill souhaite faire reposer son film. À cause de la frilosité du studio, le film terminé est assez loin des intentions initiales de son auteur. La critique américaine Paule Kael, qui trouvait que Les Guerriers de la Nuit aurait pu être l’adaptation du comic book que le gamin du roman traîne avec lui, ne croit pas si bien dire.
En effet, l’idée initiale de Hill était d’introduire le film par un texte lu par Orson Welles qui aurait fait un pont entre l’odyssée des Warriors à celle des mercenaires grecs. Il pensait également découper le film en chapitres, introduits par des cartons dessinés. Il souhaitait aussi accentuer le décalage fantaisiste de ce procédé en commençant par ces quelques mots « Plus tard, dans le futur ». « J’ai toujours cru que le film serait incompréhensible sans ça, explique Hill, j’ai toujours trouvé que c’était un film de science-fiction. » Une idée encore une fois refusée par le studio qui craignait que ça ne sonne trop… Star Wars !





« - Qu’est-ce que tu penses de Cyrus ?
- Magique, tout ce qu’il y a de magique… »

Cowboy & Cochise

Même ainsi, dépouillé de ces ambitions, le film de Hill reste parcouru par une force mythologique évidente. Les gamins de Yurick qui jouent aux soldats deviennent à l’écran l’élite d’un gang qui subira une série d’épreuves quasi divines. De l’aura quasi légendaire qu’inspire Cyrus à l’épure d’un cadre pratiquement abstrait où seuls les protagonistes semblent exister, Les Guerriers de la Nuit a construit son culte sur une fascination qui dépasse de loin la trivialité de l’incident ici narré. Dans le roman, les gamins évoluent au milieu d’une foule d’éducateurs sociaux, de putes, de camés ou dans des métros bondés et leur rapport aux Autres définit autant leur haine que leurs peurs et se vautrent dans une violence laide, et dramatiquement bête. A contrario, les Warriors du film de Hill traversent un monde fantasmagorique où seules les autres bandes semblent exister et où la violence est chorégraphiée.
Contrairement à bien d’autres films consacrés à la violence qui règne dans la jungle urbaine, les Guerriers de la Nuit ne dirige jamais son agressivité contre la population. Ils sont les fantômes de la ville, ceux qui attendent la nuit pour venir hanter les rues, révélés par la lumière crue des néons. Les Guerriers de la Nuit est un film surréaliste où la mise en scène de ce que Kael appelle « la colère des dépossédés » transforme l’espace urbain en zone aussi mythique que cauchemardesque. Une mise en scène où des fantômes se perdent dans un cadre et une photo servant, à leurs dépens, la beauté abstraite de l’architecture. Une ambiance également rythmée par une bande son divisée en deux idées. Les moments synthétiques, ces moments où la lumière, lorsqu’elle bouge, semble se muer en son, et des chansons rock à l’existence diégétique (c’est le DJ qui place les morceaux écoutés par les gangs sur leurs transistors) et aux titres évocateurs : Nowhere to run, In the City, You’re movin’ too slow… Cette zone, au croisement de la réalité et de la mythologie, disparaît lorsqu’enfin le jour se lève et qu’on a atteint le bout de la route. L’onirisme des néons laisse place à une crasse réelle, froide, et le parcours héroïque qui a permis aux braves de prouver leur courage à une désillusion mélancolique.




 « Les putes sont armées ! Les putes sont armées ! »
Rembrandt

La masculinité et la force dégagées par ce groupe d’hommes se sont fracassées sur une réalité qu’ils ont refusé de voir. C’est Ajax qui se fait piéger par la jeune fille qui est assise seule dans le parc et qui se révèle être une policière. Ce sont les trois Warriors bernés par les Lizzies, des sirènes qu’ils prenaient pour d’innocentes prostituées, comprenant trop tard que leur docilité n’était qu’apparente. Et c’est surtout Swan dont l’arrogance ne pourra rien devant Mercy, la fille qui va s’attacher à eux et les suivre jusqu’au bout. Faire-valoir et simple objet sexuel, Mercy s’extirpe pourtant du cadre limité offert aux personnages féminins dans ce genre de productions en revendiquant son autonomie et en justifiant ses choix. Dans sa volonté de prendre son destin en main, elle rappelle le personnage de Fray, dans le Zombie de Romero sorti l’année précédente. Face à Mercy, le caractère dominant de Swan se transforme en posture vaine et le confronte à son propre conservatisme moral.




35 ans plus tard, le cauchemar des Warriors continue de hanter la mémoire des cinéphiles. Il y a dix ans, on a pu constater que le culte du film n’avait jamais cessé. Rockstar a édité un jeu vidéo au succès critique et populaire indéniable. Dans la foulée, un DVD proposant un director’s cut s’est vendu comme des petits pains. 25 ans après la sortie, Hill a enfin eu toute latitude pour insérer ses plans de bandes dessinées et son prologue, au grand dam des amoureux du film qui voient à travers ce bidouillage douteux une véritable trahison. En attendant une réédition digne de ce nom, le film semble ne pas vouloir se laisser oublier. Les rames de ce cauchemar nocturne continuent de prendre des voyageurs qui n’ont pas fini de se réveiller dans le sordide et la crasse. Aujourd’hui, intemporel car dégagé de son époque, le film a rejoint sa propre mythologie et les empreintes de ses guerriers vont continuer de courir à travers toute la culture populaire…

« - Dire que c’est pour trouver ça que toute la nuit on s’est battus… Je vais mettre les voiles, ici c’est trop moche.
- Moi aussi tu sais j’aime voyager…
- T’es déjà allée dans quel bled ?
- J’ai mis les pieds nulle part, mais je sais que j’aimerai ça. »
Swan & Mercy






ALIEN - CONCEPT ART MOEBIUS


Early concept art of the Space Jockey. by Moebius

mercredi 21 septembre 2016

VEGETAL HOLOCAUST

Un peu de publicité pour un blog formidable : VEGETAL HOLOCAUST.

In 1979 an amateur cook disappeared in the jungles of South America
while shooting a film about cannibalism...
Six hundred and sixty-six months later, his footage was found

 

Des recettes de cuisines comme nulle part ailleurs.
Exemple : 

 




mardi 20 septembre 2016

TRANSFORMERS - CONCEPT ART DE KANDINSKY



"Optimus Prime au corps a corps avec Megatron"
Concept art de Kandinsky pour le Transformers 1 de Michael Bay.
 
 

lundi 19 septembre 2016

CANNIBAL HOLOCAUST ET L’ENFER VERT - AAARG #02



Article publié en Janvier 2014 dans la revue AAARG #002

http://www.aaarg-editions.fr/6-aaarg-mensuel



Eli Roth, réalisateur d’Hostel et inoubliable Ours Juif d’Inglorious Basterds, a toujours été un fan absolu de Cannibal Holocaust. À tel point qu’il avait invité son auteur, Ruggero Deodato, à tenir un petit caméo dans Hostel 2 et qu’il revient aujourd’hui à la réalisation avec The Green Inferno. Entre l’hommage et la relecture du chef-d’œuvre du film de cannibales, Eli Roth ranime à la surprise générale un genre tombé en désuétude depuis une bonne vingtaine d’années et qui n’aura laissé qu’une trace peu flatteuse dans l’histoire du cinéma. C’est pourtant de ce genre mineur et méprisé qu’a émergé en 1980 l’un des classiques les plus dérangeants du cinéma d’horreur. À l’époque où s’enchaînaient les films brutaux qui ne rigolaient pas (Zombie, Maniac), et avant que le genre ne tourne au postmodernisme rigolard, Cannibal Holocaust a choqué une génération de cinéphiles, figeant d’horreur la censure. Aujourd’hui, il suffit d’aller fureter sur internet pour voir que les légendes qui entourent le film sont toujours vivaces et que la provocation qu’il exhale n’a rien perdu de sa force, plus de 30 ans après sa création. Alors pendant qu’Eli Roth répand les viscères de ses étudiants idéalistes et s’applique à repeindre en rouge l’enfer vert, revenons quelques instants sur le film de Deodato pour tenter de comprendre pourquoi il continue d’interroger son public, pourquoi l’impact de sa violence ne s’est jamais altéré, et pourquoi il se refuse encore aujourd’hui à se faire oublier en disparaissant discrètement dans les mémoires de quelques cinéphiles avertis. Toujours d’actualité, toujours aussi fort, le film de Deodato semble ne jamais vouloir vieillir.



Cannibal Holocaust raconte le voyage d’un anthropologue américain, le professeur Monroe, parti à la recherche d’une équipe de journalistes disparue au cœur de la forêt vierge amazonienne. Agissant avec respect, il gagne la confiance d’une tribu et parvient à récupérer les bobines de films appartenant aux disparus que les Indiens conservaient comme totem. Le visionnage de ces images brutes constituera la seconde partie du film où l’on va découvrir les journalistes s’adonner à tous les excès pour obtenir des scoops, allant jusqu’à violer et tuer des Indiens, jusqu’au dernier moment où la caméra enregistre leur destin funeste.




« Mon cher Ruggero, quel film ! La seconde partie est un chef-d’œuvre de réalisme cinématographique…
 Tout semble si réel, je crois que tu vas avoir de gros ennuis.
 »
Sergio LEONE


Dire que le film a connu des soucis avec la justice est un doux euphémisme. Conséquences des rumeurs de snuff entretenues par la production à des fins commerciales, la tête de Deodato est mise à prix en Colombie et la justice italienne va le persécuter plusieurs années pour finalement le condamner à une amende et à une peine de prison avec sursis. Le film va connaître l’interdiction ou la censure dans plus d’une soixantaine de pays et pourtant, c’est un succès commercial prodigieux. Partout où il est projeté, censuré ou non, c’est un tabac et l’exploitation vidéo prenant le relais fera de Cannibal Holocaust un véritable film culte. 




Cannibal Holocaust reprend les conventions du récit d’exploration classique, avec son groupe d’explorateurs blancs tombant dans les mains de sauvages et des poncifs qui en découlent (la scène du repas dégoûtant que le Blanc est obligé de partager avec les Indiens) pour les diluer dans l’approche néoréaliste héritée de Rossellini et du mondo. Deodato a beau clamer partout que son film a été tourné avec de véritables cannibales, sur les lieux mêmes où ils vivent, en sous-entendant que les décors sont réels ou qu’ils ont été reconstruits fidèlement, il n’en est rien. Les Indiens Yanomamis (appelés dans le film Yamamomos, et dans les articles qui lui sont consacrés, avec toutes les déclinaisons possibles que les fautes de frappe et le j’men-foutisme permettent) sont loin de ce qui nous est présenté dans le film. S’ils se livrent à l’occasion à l’endocannibalisme (ils consomment les os broyés de leurs morts), ils ne pratiquent absolument pas l’excocannibalisme agressif qu’on trouve dans le film. Les Yanomamis ont été découverts quelques décennies plus tôt, et depuis les années 1950 ils sont constamment visités par des anthropologues, soumis à toutes les études possibles, et deviennent à cette époque un sujet de discordes universitaires sans fin. Dans les années 1970, ces Indiens vont devenir à la mode et les stars du showbiz comme Sting s’investissent dans la défense de leur mode de vie, surfant sur le mythe du Bon Sauvage. L’Homme naitrait bon avant que la société ne le corrompe. Ainsi, l’Homme préservé de toute civilisation incarne une idée de pureté originelle. Cette idée est balayée par un anthropologue, Napoléon Chagnon, qui publie en 1968 le livre Yanomami le peuple féroce, dans lequel il fait le portrait d’une civilisation en guerre perpétuelle. Illustrant cette thèse, et piétinant l’idéalisme béat du professeur Monroe et d’une partie du public, Cannibal Holocaust ne présente pas de bons sauvages ; il met en scène des gens vivant dans un milieu rude, de manière brutale et aux rites difficilement déchiffrables. Même si les rituels sont fantaisistes et que les Indiens ne sont pas présentés sous un jour très positif, ils restent en dehors de toute réinterprétation romantique. La nudité n’est plus l’expression d’un érotisme sauvage émoustillant l’explorateur et invitant l’exploratrice à se dénuder dans une communion hippie des corps et de la nature. Lorsque le film se tourne vers le sexe, c’est par le viol d’une Indienne qu’il le fait. Il rejoint ainsi parfaitement le cinéma d’horreur américain de cette époque qui taillait en pièces le rêve hippie. 


 https://fr.wikipedia.org/wiki/Yanomami_:_une_guerre_d%27anthropologues

Yanomamis, une guerre d'anthropologue. De José Padilha.
(un documentaire édifiant et passionnant sur notre vision des indiens Yanomamis)


Retournant les valeurs et les attentes des spectateurs, il n’est pas question ici d’opposer la civilisation à la sauvagerie mais de montrer que la sauvagerie n’a pas quitté le civilisé. Un nihilisme qui éloigne le film d’une vision raciste ou idéaliste de l’Autre en mettant en avant la brutalité de l’Homme, quel qu’il soit, en sous-entendant qu’il naît mauvais et que la société le déprave. La jungle n’est pas le lieu de l’innocence et la démarche de Cannibal Holocaust prolonge ici le travail de Werner Herzog : « C'est la nature elle-même que nous défions » explique-t-il, « Et elle nous rend coup pour coup, elle se défend, voilà tout. Elle est grandiose et il faut accepter le fait qu'elle soit plus forte que nous. Kinski dit toujours qu'elle regorge d'éléments érotiques. Moi je la trouve plutôt... pleine d'obscénité. La nature ici est assez ignoble et vicieuse. Je n'y vois pas d'érotisme, j'y verrais plutôt la fornication, l'asphyxie et l'étouffement, le combat pour la survie, la croissance... Et la pourriture. Bien sûr, elle est pleine de souffrance, mais c'est la même qu'on voit partout. Ici les arbres souffrent, les oiseaux aussi. Ils ne chantent pas, ils crient plutôt leur douleur. En regardant bien autour de nous on constate une certaine harmonie. L'harmonie du meurtre, omniprésent et collectif... »





« Oh, good Lord! It's unbelievable. It's... it's horrible. I can't understand the reason for such cruelty. »

Cannibal Holocaust s’ouvre sur un carton : « Pour l’authenticité certaines scènes sont intégrales. » Ça ne signifie pas grand-chose mais le ton péremptoire prévient le spectateur que ce qu’il va voir est authentique. Un procédé alors moins commun qu’aujourd’hui (où le « inspiré d’une histoire vraie » ne trompe plus personne) et renforcé par des images aériennes de l’Amazonie montrant l’isolement total du décor du film. Le spectateur est prévenu, we’re not in Kansas anymore ! Le film débute comme un reportage télévisé avec un journaliste qui parle directement au spectateur. Son image est intercalée dans des prises de vues de New York, puis visible d’une rue où on le retrouve évoquant l’expédition amazonienne de Yates et de ses acolytes à travers des télévisions alignées dans une boutique, sous l’œil curieux des badauds. L’image zoome et dézoome, passant d’une réalité à l’autre, pour finalement basculer définitivement en Amazonie. À l’image, le spectateur est transporté dans le documentaire, alors qu’il abandonne la réalité new yorkaise pour investir le champ de la fiction amazonienne de l’expédition du professeur Monroe.





Avant de basculer sur la seconde partie, le professeur est invité à commenter les images des journalistes. Mais pour lui faire comprendre qui ils étaient, la responsable de la chaîne de télé lui présente une série d’images d’exécutions, de foules déplacées et de cadavres empilés, qu’ils auraient tournées au Vietnam et au Nigéria…  Ce film, Last Road to Hell, est un véritable flashforward de ce que les spectateurs verront par la suite. Lorsque la directrice des programmes explique que tout a été mis en scène par des soldats payés par l’équipe, c’est le début de la critique, assez grossière, du voyeurisme et des moyens de fournir ce genre d’images ; mais il s’agit surtout d’introduire le véritable enjeu de Cannibal Holocaust : la manipulation par l’image. Car ce petit film défini comme truqué a été créé par Deodato à partir d’atrocités réelles, issues de véritables documentaires. Lorsque la seconde partie débute, il s’agit de visionner les rushs des journalistes présentés sous le titre The Green inferno.  Le film va reproduire le même dispositif que pour Last Road to Hell, faisant des allers-retours entre l’image et le contrechamp du professeur et des responsables de la chaîne, créant une analogie évidente pour le spectateur dont les repères commencent à être pour le moins brouillés.



La première partie, tout à fait classique, laisse donc place aux rushs des journalistes dévorés. Subitement, le film change de réalisation, les plans en 35 mm cèdent à un 16 mm granuleux tourné à la caméra à l’épaule. Le jeu des acteurs est beaucoup plus naturel et l’image qu’on voit est celle tournée par l’équipe, sans montage, avec les ruptures que cela entraine, aussi bien visuelles que sonores. Ce principe, alors pratiquement inédit, a été repris et popularisé par des films comme Le Projet Blair Witch ou C’est arrivé près de chez vous, devenant récemment une véritable mode et un genre en soi. Il ne s’agit donc plus de nous raconter ce qui s’est vraiment passé, mais de nous le montrer, pour de vrai.





« Today people want sensationalism;
the more you rape their senses the happier they are.
 »

 
Après avoir vu des images froides d’exécutions au Nigéria, le spectateur se demande ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Rapidement, il va être mis à l’épreuve. Une série de mises à mort non simulées d’animaux se succèdent à l’écran. Une tortue est tuée puis mise en pièces pour être mangée, un singe est décapité par les Indiens qui consomment sa cervelle. Au milieu de ces scènes impressionnantes se glisse celle de Felipe, le guide, qui se fait mordre par un serpent. Les journalistes lui tranchent la jambe. La caméra capture l’évènement sur le vif. Il s’agit bien sûr d’un effet spécial, mais pris entre deux scènes dont la brutale et choquante réalité ne peut être discutée, l’illusion créée par cette mise en rapport est troublante, aussi puissante que dérangeante. Cette série de scènes ayant servi de transition, celles qui vont suivre abandonnent le snuff animalier pour étaler les multiples outrages et mutilations que va subir l’équipe en représailles de leur attitude criminelle.
Entre les rushs, se joue devant nous le sketch de la censure à venir. La directrice veut que le film soit diffusé, mais Monroe déclare que c’est outrageant et qu’il faut le détruire. Ce qui reviendrait à mentir par omission au public qui pensera que les reporters ont été gratuitement exécutés par des sauvages. Censurer le film pour des raisons morales conduit ainsi à une injustice, une question d’autant plus intéressante que les atrocités filmées rappellent celles des nazis ou des américains (renvoyant au village en feu du Vieux Fusil tourné quelques années avant, ou aux massacres de Mỹ Lai au Vietnam). On est ainsi interrogé sur nos motivations d’être témoin d’un « spectacle » qui est condamné par le personnage auquel on est censé s’identifier et qui représente le repère moral du film. La critique intradiégétique des actes des journalistes rejoint également, de manière étonnante, les accusations contre les méthodes de Deodato. Si les allégations de meurtres sont évidemment fallacieuses, les conditions radicales du tournage ont souvent mis en danger les membres de l’équipe, partagés entre l’euphorie de l’aventure et la plus grande irresponsabilité, virant pour certains au cauchemar. Ainsi, lorsque des animaux commencent à être tués devant la caméra, l’hystérie du tournage effraie tellement l’un des acteurs, Gabriel Yorke, que ce dernier décide de garder en permanence sur lui son passeport et son argent, prêt à fuir à tout moment.





« Here we are at the edge of the world of human history.
Things like this happen all the time in the jungle;
it's survival of the fittest!
In the jungle, it's the daily violence of the strong overcoming the weak!
 »

Cette perméabilité entre la réalité et la fiction est aussi astucieusement utilisée par Deodato qui commente en direct son film à travers la bouche de ses personnages : « Continue de tourner, on aura un Oscar pour ça » ou « Nous parlons du documentaire le plus sensationnel qui ait été fait depuis des années… » Et quand le professeur Monroe juge ce qu’il a vu en ces termes : « Ce pseudo-documentaire est offensant, malhonnête et par-dessus tout inhumain », il anticipe les critiques qui lui seront faites. Des critiques évidentes, mais qui manquent leur cible étant donné que le film est conscient de sa propre malhonnêteté, et que la mise en scène de cette malhonnêteté est le véritable sujet du film. Ainsi, dans sa façon d’interroger le spectateur et de le mettre face à ses responsabilités, Cannibal Holocaust entretient des liens thématiques évidents avec Orange Mécanique de Kubrick. Outre le discours sur le processus de civilisation ayant échoué à extirper la sauvagerie de l’Homme, il est difficile de ne pas penser au traitement Ludovico lorsque les membres de la chaîne de télé sont dans leur salle de projection, consternés par ce qu’ils voient. Ultime pirouette, The Green Inferno terminé, on reprend le cours normal du film, réintégrant un 35 mm confortable, jusqu’à ce que l’épilogue annonce que finalement l’appât du gain et le cynisme ont triomphé : les négatifs n’ont pas été brûlés, mais volés et vendus une fortune par l'un des techniciens de la chaîne. La raison de cet acte cynique rejoignant la motivation même du film de Deodato : le profit.


 

Souvent sommairement présenté, le discours du film est résumé en cet oxymore : Cannibal Holocaust condamne la démarche raciste et brutale des journalistes (et, par ce biais, des mondos) et le sensationnalisme des producteurs en usant des mêmes méthodes avec au bout, la même cupidité. La volonté de dénonciation de Deodato lui serait venue de son fils de 8 ans qui, durant les années de plomb italiennes, se serait plaint de la violence déversée à la télé. Cette vision tronquée du film rate l’essentiel. Cannibal Holocaust ne dénonce pas par l’image, c’est un film qui étudie la puissance de l’image, discute de sa véracité et provoque le spectateur à s’interroger sur ce qu’il voit, tout en se basant sur une intrigue extrêmement morale, puisqu’il s’agit ici de la réussite d’une expédition menée sur l’échange, rétablissant un ordre chamboulé, et de la punition d’une autre reposant sur la terreur, le vol et l’agression. 





« I wonder who the real cannibals are. »

Au-delà du nihilisme du propos, Cannibal Holocaust reste un film complexe et ambigu, qui refuse obstinément d’être ce qu’on voudrait qu’il soit. Choquant par son approche radicale, on aimerait tellement qu’il se laisse dompter et finisse par docilement livrer un discours manichéen sur des évidences. Le film de Deodato demeure ainsi l’une des œuvres les plus fortes de cette époque. Une œuvre sans descendance, car malgré un projet qui n’a jamais vu le jour (Cannibal Fury) et bien que les derniers avatars du cannibal movie (Schiave bianche, Natura contro, Mangiati vivi ! ou Nella terra dei cannibali) furent frauduleusement retitrés Cannibal Holocaust 2, le film de Deodato n’a jamais connu de suite officielle. Récemment, le film Welcome to the jungle fut considéré, à tort, comme un remake déguisé bien qu’il s’agisse plutôt d’une suite officieuse mais astucieuse d’Ultimo Mondo Cannibale. Il semblait donc que la page était définitivement tournée. Pourtant, il y a quelques années, Deodato a mis en chantier une suite à son film sous le titre Cannibals. Le décor évoluant de la jungle amazonienne aux favelas de Bornéo. Un temps disponible sur internet, le résumé du film laissait présager une prolongation thématique saisissante sur le pouvoir et le sens de l’image. S’articulant autour d’un récit hyper violent, il substitue l’Indien sauvage aux laissés pour compte de la société moderne. Une idée exaltante que la sortie du film d’Eli Roth permettra peut-être d’exhumer des cartons dans lesquels le projet semble aujourd’hui oublié.