« Dans
la vie politique américaine, il y a peu de routes aussi fréquentées que celle
qui mène de Washington à Hollywood, de la capitale du pouvoir à celle du
glamour » écrit le journaliste Ronald Brownstein en 1992. Depuis des
années, ces connexions sont étudiées, mises à jour, et de nombreux journalistes
se sont interrogés sur les liens qui unissent le pouvoir militaire à l’usine à
rêve. Entre censure et propagande, l’influence du Pentagone sur une partie du
cinéma américain est un secret de polichinelle… Des œuvres qui vont
naturellement dans le sens de l’armée à celles qui tentent de la remettre en
question, entre compromis et négociations, Hollywood semble avoir cédé
énormément aux idéologues de Washington au nom du profit et de l’efficacité.
AAARG! revient sur la liaison contre nature qui unit le cinéma et l’armée,
leurs motivations ainsi que les conséquences de tels rapports.
De Hollywood à
Washington
LE MERDIER
1970 - 1980
1968, Vietnam, l’ennemi communiste que l’Amérique
croyait à terre se rebiffe et lance dans tout le pays « l’offensive du Têt ».
Bien que l’attaque tourne à la déroute, le choc qui frappe l’opinion américaine
est tel que la victoire militaire se transforme en défaite politique. En 1972, plongées
dans une situation catastrophique, les troupes américaines se retirent et
abandonnent le Sud Vietnam à son destin. Trois ans plus tard, les images de la
prise de Saigon mettent un point final à la débâcle… On dit que l’Amérique n’a
jamais vraiment compris les raisons de cette guerre aux objectifs nébuleux, la
volonté de stopper l’expansion communiste étant perçue comme une ingérence au
cœur d’une lointaine guerre civile. Année après année, cette guerre va soulever
de plus en plus d’opposition, divisant profondément la société américaine alors
que s’exacerbent le conflit des générations et l’émergence d’une
contre-culture. La Seconde Guerre mondiale s’articulait autour de batailles aux
enjeux clairs, mettant en scène deux ennemis identifiés comme les champions du
Bien et du Mal. Elle avait permis à Hollywood de jouer aux historiens en
brodant des histoires efficaces où pouvaient s’incarner les valeurs héroïques,
le manichéisme et le patriotisme auprès d’un public conquis. Mais c’est sur une
partition bien différente que s’est dansée la guerre du Vietnam.
C’est connu,
la décennie des années 70 est celle où le Pentagone et Hollywood vont faire
chambre à part. L’armée est à cran et Hollywood doute que le sujet ait le
moindre intérêt commercial. Les grands studios voient leurs modèles
bouleversés, les stars de l’Âge d’or disparaissent et une nouvelle vague de
cinéastes saisissent leurs chances et prennent le pouvoir, du moins le
pensent-ils un temps. Dans ce contexte, il est hors de question d’imaginer que
Hollywood puisse aborder ce conflit comme les précédents. Les combats aseptisés
des films hollywoodiens sont ringardisés par la réalité sordide qui s’affiche à
la télévision et la fin, en 1967, du code Hays (qui règlementait ce qu’il était
possible ou non de filmer), accompagnant la révolution culturelle, change la
manière d’appréhender les rapports humains et va remettre en cause les formes
classiques du cinéma de guerre.
Patton
Paradoxalement,
la décennie va commencer avec deux avatars d’un cinéma typique des grands
barnums militaristes des années 60. Le premier, Patton (F. J. Schaffner,
1970), est un ample biopic du plus célèbre général de l’armée américaine. Le
second, Tora ! Tora ! Tora ! (R. Fleischer, K. Fukasaku
& T. Masuda, 1970), est une redite du
Jour le plus long où la
valeureuse et émouvante bataille victorieuse du Débarquement est remplacée par
l’humiliante déculottée de Pearl Harbour.
Les débuts du
projet Patton remontent aux années 50 mais la famille s’était toujours
opposée à une reconstitution de la vie de Patton, craignant la caricature et le
scandale. Une crainte partagée par l’armée que la personnalité du général
effraie. À la fin des années 50, Don Baruch, le responsable des relations avec
l’industrie cinématographique du Département de la Défense, donne un accord de
principe pour une coopération mais la sortie du Jour le plus long va
convaincre l’armée que renouveler l’expérience d’une coopération à grande échelle
est une mauvaise idée. Face à la détermination des producteurs, la famille
s’inquiète et écrit au secrétaire de la Défense, R. McNamara, qui répond que le
film est en train de se faire hors du giron de l’armée et leur suggère qu’une
collaboration de toutes les parties serait plus sage et permettrait de
contrôler ce que les producteurs vont faire. Suite à un development hell qui courra sur des années, le général Bradley,
proche de Patton et auteur de la biographie qui a servi de base au scénario, finit
par valider le script forçant la main du Pentagone qui, malgré ses doutes sur
la pertinence de produire un tel film alors que la situation au Vietnam est en
train de déraper, est bien obligé de suivre. Ils savent aussi que le film pourrait
totalement leur échapper étant donné qu’il va se tourner en Espagne, avec du
matériel fourni par l’armée de Franco, l’un des derniers endroits où l’on peut
encore trouver tanks et avions de la Seconde Guerre mondiale. Ils n’ont guère
d’autre choix que de participer au film qui s’apprête à créer l’image
culturelle qui remplacera celle du véritable général aux yeux du public. Politiquement,
les motivations des auteurs sont assez floues, car si le film s’ouvre sur une
exaltante apologie guerrière, le producteur, F. McCarthy, et le coscénariste, E.
North, considèrent qu’il s’agit d’un authentique film de paix. Pour eux,
montrer les champs de cadavres de la bataille de Kasserine ne peut qu’aboutir à
une condamnation de la guerre. Les réactions sont divisées sur la nature belliciste
ou pacifiste du film, aussi bien que sur celle de Patton, psychopathe possédé
ou génie militaire. Les années 70 ne sont plus les années 50 et le public, plus
sophistiqué, peut prendre du recul face à un film complexe qui fait le portrait
d’un homme où la glorification se mêle à la dénonciation. Pour Pauline Kael, le
film fonctionne comme un test de Rorschach où chacun projette son point de vue.
Un point de vue bien souvent conditionné par son rapport à la situation au Vietnam.
Difficile en effet, lorsque Patton, devant un drapeau gigantesque, harangue ses
troupes dans un appel vibrant au patriotisme et au combat de ne pas y voir un
commentaire contemporain ou une invitation à la jeunesse américaine à
reconsidérer son engagement pour la Nation. Il se dit que Nixon a regardé le
film plusieurs fois avant de décider, le 30 avril 1970, d’envoyer les forces
américaines au Cambodge en commentant sa décision par des citations de Patton
sur ses exploits à Bruges, déclarant ainsi « vous devez avoir la détermination de sortir faire ce qui est juste pour
l’Amérique » ! Il aurait également fait un parallèle avec Patton
décorant le curé de l’armée parce que le beau temps était finalement arrivé en
expliquant qu’à cette heure-là, tous les aumôniers au Vietnam priaient pour que
la pluie ralentisse la contre-offensive du Nord. Au-delà de cette anecdote, le
film s’est imposé comme l’un des plus grands succès de l’année, drainant
militaristes et pacifistes dans les mêmes salles.
De son côté,
la 20th Century Fox va tenter de reproduire les succès de la
décennie passée en produisant Tora ! Tora ! Tora !.
Dès les prémices du projet, la volonté de mettre en scène une si lourde défaite
passe mal et Darryl F. Zanuck, le producteur, doit se justifier dans la presse.
Il explique qu’il s’agit de ne pas reproduire l’erreur d’avant-guerre lorsque Hollywood
produisait des films donnant l’impression à l’Amérique qu’elle était
invincible. Se souvenir de ses faiblesses devant permettre au pays de préparer
un avenir plus sûr. Pendant les années que va nécessiter la production du film,
des contacts intimes vont être noués avec le Pentagone. L’accès aux bases de
Pearl Harbour étant indispensable à la réalisation d’un projet qui mélangera (sans
grand succès) prises de vues réelles et maquettes dispendieuses. Le Département
de la Défense approuve le script mais se retrouve un peu coincé. Il n’a guère
de marge de manœuvre car un refus de leur part passerait pour une tentative de
censure qu’on accolerait naturellement au rejet d’un film faisant le récit d’un
désastre militaire. Suite aux régulations de Sylvester visant à protéger le
Pentagone des excès d’Hollywood, les besoins sont étudiés avec soin, tout est
chiffré et la production règle les factures. Reste un imbroglio qui va s’étaler
sur des mois et des mois à propos de l’utilisation d’un porte-avions. Pour certains
militaires la présence d’équipes de cinéma augmente un risque qu’ils refusent
de faire courir à leurs troupes jusqu’à ce qu’un compromis contente toutes les
parties. Au final, le film échoue à retrouver le souffle épique des
grandes reconstitutions d’antan et, malgré le réalisme qu'il affiche, la
vision du général Yamamoto, prévenant qu’ils ont réveillé un dragon endormi et
prophétisant un sort terrible pour le Japon, nous interroge sur ces films qui
font passer pour documentaire ce qui n’est qu’une vision fantaisiste des faits.
En tout cas, le film va connaitre un cuisant échec qui va sceller l’arrêt de cette suite
ininterrompue de films de guerre produits depuis des décennies. Malgré le
succès de Patton, une page est tournée et le temps des films à la gloire
de l’armée américaine, boostée par des reconstitutions dantesques orchestrées
par les chorégraphes du Pentagone, est fini.
Plus tard dans
la décennie, en 1977, deux ultimes tentatives secoueront le cadavre du genre, Un
Pont trop loin (R. Attenborough, 1977) essaiera de retrouver la flamboyance
des grandes reconstitutions de batailles, et MacArthur (J. Sargent, 1977)
cherchera à rééditer l’exploit de Patton mais dans le cadre d’une
production plus modeste et sans grandes batailles. L’armée est extrêmement
motivée, voyant là l’opportunité de faire revivre une figure tutélaire
indiscutable qui permettrait, l’espace d’un instant nostalgique, de retrouver une
Amérique victorieuse. Mais bien que cette coopération se fasse de manière
cordiale, l’armée n’a pas grand-chose à offrir à une production
délocalisée aux Philippines où les avions et les bateaux sont encore
disponibles. De plus, la Navy, échaudée par les négociations sans fin avec Tora !
Tora ! Tora !, a drastiquement réduit les possibilités
d’utilisation de leurs porte-avions, laissant la production se débrouiller avec
deux avions cloués au sol. À l’écran, les subterfuges utilisés sont visibles
(images d’archives ou réutilisation de plans chipés au film 30
secondes sur Tokyo datant de 1944) et plombent le réalisme du film qui fait
un score tout juste honorable au box-office. MacArthur est aussi
l’une des seules tentatives de la décennie visant à légitimer l’ingérence
américaine en faisant l’apologie de la gestion américaine du Japon d’après la
capitulation, tout en véhiculant un message d’espoir pour le futur… dans
l’ambiance mélancolique de cette époque où l’Amérique était victorieuse.
Peut-être est-ce
un hasard mais, de nouveau, c’est une lourde et cuisante défaite alliée qui est
au cœur d’Un Pont trop loin, récit édifiant de la débâcle de l’opération Market
Garden en Hollande. Un désastre ayant entraîné un catastrophique bain de sang
(8 000 morts sur les 10 000 parachutés). Pour ce film, les
producteurs arrivent à persuader l’Army de leur offrir une coopération totale, même
si dans les années 70 ce concept n’a plus grand-chose à voir avec l’engagement
des années 50 ou 60. Tout ce que les militaires peuvent offrir, c’est leur aide
pour s’assurer de la rigueur du script au niveau historique et des détails militaires
et envoyer quelques troupes comme figurants pour occuper l’écran. Malgré cette
collaboration et quelques astuces, le film échoue dans sa reconstitution.
Pire,
la confusion de la bataille infecte progressivement le film et finit par perdre
le spectateur qui peine à suivre les tenants et aboutissants de ces
parachutages successifs et d’une action se déroulant simultanément dans
plusieurs lieux. Les vieilles ficelles semblent éculées et la collection de
vedettes semble vainement se débattre dans une représentation très propre de la
guerre et au discours pacifiste naïf. Un Pont trop loin reste cependant
sympathiquement anachronique à un moment où le soldat américain, fusil à la
main, a déserté les écrans de cinéma même si la candeur du film, qui sort entre
Taxi
Driver et Voyage au bout de l’Enfer, semble le disqualifier de manière
rédhibitoire. En tout cas, l’échec du film ne va certainement pas pousser
Hollywood à tenter de transposer ce type de récit au cœur du Vietnam. L’industrie
est persuadée que le public est fatigué de la guerre et le bourbier vietnamien
ne semble pas être le cadre idéal pour mettre en valeur le courage et
l’héroïsme des soldats américains.
Taxi Driver
Ce décalage
entre une mise en scène surannée de la guerre et la violence véhiculée par le
cinéma du Nouvel Hollywood crée un hiatus qui va rester pour des années
insolvable. Quelques films, au début des années 70, incarneront l’expression
évidente de ce fossé et de cette incompréhension entre une jeunesse assoiffée
de changement et une institution conservatrice.
En 1970
sortent deux films de guerre produits sans que leurs auteurs n’aient cherché à
obtenir la moindre collaboration : MASH (R. Altman, 1970) et Catch
22 (M. Nichols, 1970). Le succès du premier et l’échec du second seront tout aussi
spectaculaires et historiques. Les producteurs de MASH ont bien pensé d’abord
demander du matériel au Pentagone, mais ils ne vont pas aller plus loin et ne
feront même pas l’effort d’envoyer le scénario. Le film est tourné avec du
matériel loué commercialement alors que Baruch expliquera, peut-être de manière
opportuniste suite à la réussite du film, que l’aspect comique l’exonérait des
nécessités d’une représentation rigoureuse de l’armée. Le film a beau se
dérouler en Corée, l’absurdité de la guerre semble être une métaphore évidente
du conflit vietnamien. Une idée qui va même devenir, film après film, un véritable
cliché. Par sa nature ambiguë, la guerre du Vietnam fut-elle plus absurde que
les autres est une question intéressante dont la réponse nécessite d’étudier
l’Histoire autre part que dans une salle de cinéma.
Si MASH
est un succès phénoménal, le film de Mike Nichols va lui se révéler être un
échec lamentable. Tourné au Mexique, Catch 22 est réalisé grâce à une
escadrille de B-52 acquise par la production et garantissant une tranquillité
totale pour un projet complètement fou. Le film est une sorte de collage de séquences
surréalistes mettant en scène un aviateur tentant désespérément de déserter,
mais les auteurs semblent davantage chercher à être artistiquement en phase
avec leur bouillonnante époque qu’à proposer un commentaire sur la guerre qui
faisait alors rage. Mais, en se moquant de l’héroïsme et en n’offrant que
l’idée de fuite comme seule obsession à leur personnage, ils n’en dynamitent
pas moins les valeurs que le cinéma de guerre portait inlassablement depuis 50
ans. Une ironie que l’histoire de l’auteur du roman pourrait expliquer : « J’avais 19 ans et je voulais aller au
combat, il y avait eu tellement de grands films de guerre, tout me semblait
spectaculaire et héroïque. La guerre était pour moi comme un film, jusqu’à ce
que je réalise qu’on essayait de me tuer ! »
À la fin des
années 60, la télévision va substituer une réalité sordide aux valeurs qui
pouvaient briller dans les salles obscures. Les images qui vont alors frapper
l’Amérique vont disqualifier Hollywood de toute tentative de représentation. S’il
est difficile d’imaginer pouvoir mettre en valeur les gestes de l’Air Force lorsqu’elle
fracasse des jungles entières à coups de bombes au phosphore, il est par contre
impensable d’offrir au soldat de l’Army une cinégénie héroïque lorsque l’esprit
des Américains doit appréhender les horreurs qui frappèrent le village de My
Lai. Des centaines de civils, dont plus de 200 ayant moins de 12 ans, sont exécutés
par des marines américains. Le massacre est dissimulé pendant une année avant
qu’en 1969 le scandale éclate, embrase les campus universitaires et signe la
défaite politique de la guerre. À cette époque, seule l’image de la Navy semble
plus ou moins s’en sortir mais, à l’instar de toute l’armée, ses dirigeants ne
semblent pas considérer Hollywood mieux qu’ils ne considèrent leur ennemi nord
vietnamien. Pour eux, la guerre se mène sur deux fronts : militairement
dans les jungles du sud-est asiatique et politiquement en Amérique ; et le
général Westmoreland (commandant en chef au Vietnam de 1964 à 1968) déclare que
s’ils ont perdu, c’est parce qu’ils ont dû se battre les mains liées par
Washington… Un discours qu’on retrouvera au cœur de nombre de films de guerre
revanchards qui inonderont les écrans dans les années 80.
En 1973, alors
que l’Amérique en guerre a disparu des salles de cinéma, deux films vont tenter
de mettre en scène la marine militaire en temps de paix. D’emblée, les
producteurs vont se heurter à la paranoïa de la Navy et des directeurs des relations
publiques de l’armée qui sont persuadés de voir des pamphlets anti-guerre dans
tout ce que Hollywood a à proposer. L’incompréhension est catalysée par
l’irréconciliable volonté des militaires à vouloir présenter des soldats
respectables et la réalité d’un cinéma qui a quitté le système du code Hays.
Gerald Ayres,
le producteur de La dernière corvée (H. Ashby, 1973), est confiant et
enthousiaste à l’idée de travailler avec la marine qu’il considère comme un corps
d’armée qui a su évoluer. Une candeur qui va être rapidement giflée par la Navy
qui refuse catégoriquement, lui conseillant même d’économiser le billet d’avion
pour Washington s’il voulait quand même en discuter. Pour la Navy, « le film n’aura plus aucune histoire une fois
qu’aura été retiré du scénario tout ce qui bloque une éventuelle coopération » étalant là l’ampleur du hiatus entre
l’évolution de la société reflétée au cinéma et la rigueur d’une vieille
institution. Le film se fera de manière autonome et le travail sera si bien
fait que le conseiller militaire de John Ford est persuadé que la
reconstitution de la base militaire a bénéficié du concours de l’armée. Pour
lui c’est un scandale car « aucune
mère au monde n’accepterait d’envoyer son fils à la Navy après avoir vu un tel
film » et rappelle ainsi, même dans l’erreur, que la capacité à favoriser
le recrutement reste l’une des principales raisons qui poussent le Pentagone à
collaborer avec l’industrie du cinéma. Pour Permission d’aimer (M. Rydell, 1973), la Navy consent à travailler
sur le script, demande une flopée de modifications avant de finalement renvoyer
la copie et de refuser catégoriquement d’aller plus loin dans les négociations,
persuadée qu’on tente de l’embobiner sur un film au discours antimilitariste. Don
Baruch trouve la réaction de la Navy injuste et disproportionnée et demande au
Département de la Défense de leur forcer la main. Jack Valenti, à la tête de la
Motion Picture of America, l’association qui défend les intérêts des grands
studios, prend position pour soutenir le film en rappelant que l’armée devrait
toujours collaborer si la production règle les coûts et que ça n’interfère pas
sur son fonctionnement.
Durant cette première
partie de la décennie, de nombreuses raisons écartent Hollywood du terrain
militaire. L’intérêt n’est plus à la recréation belliqueuse et ingénue de
guerres justes exaltant le patriotisme, la disponibilité du matériel (au-delà
de la susceptibilité de l’armée) fait défaut et pousse les productions à
s’expatrier en Europe et la représentation frontale de la violence du conflit
vietnamien à la télévision ringardise les approches classiques du geste
militaire. Face à la difficulté de faire des films sur l’armée, qu’elle soit ou
non en guerre, Hollywood s’écarte pour quelques années de ce sujet. Le colonel
Arthur Brill résume alors avec humour la situation : « À cette époque, ils auraient du mal à offrir
la moindre assistance à quelqu’un d’autre que Walt Disney. » Une
partie de cette défiance réside dans le fait qu’entre l’offensive du Têt en
1968 et l’évacuation de Saigon en 1975, l’armée va progressivement accuser les
médias d’avoir provoqué la déroute. Pour l’armée, les images télévisées ne
rendent pas compte de la réalité du conflit. Par exemple, la panique sur le
toit de l’Ambassade à Saigon ou celles, frappantes, de ces hélicoptères jetés à
la mer du pont d’un porte-avions dégageant de la place aux réfugiés, laissent
croire à une véritable panique, ce qui est loin de la réalité. Le problème,
c’est que les velléités de l’armée à présenter le conflit sous un jour positif
ont toutes échoué, pire, les journalistes les plus motivés à soutenir l’effort
de guerre ne pouvaient que constater une situation qui se détériorait
lentement, sans pouvoir ramener la moindre image de victoire pour
contrebalancer la réalité d’un embourbement mortel.
Au milieu des
années 70, les plaies béantes de la défaite et les 58 000 Américains morts
n’ont rien de divertissant. Qui paierait pour aller voir ça au cinéma ?
Personne, répondent pour l’instant les capitaines de l’industrie
cinématographique. L’intérêt pour la guerre va revenir progressivement lorsque
de nombreux auteurs vont se tourner vers le thème classique du retour du guerrier.
Cette fois-ci, la situation n’est plus la même car le vétéran n’est pas que le
soldat qui aurait valeureusement échoué, il porte également le poids de la
culpabilité des atrocités commises. Il s’agit aussi de s’interroger sur le
statut d’un vétéran dont l’échec de la quête désespérée d’un sens à son
sacrifice rend le retour insupportable.
Le premier
film à traiter de ce sujet est Limbo (M. Robson, 1972).
Initialement, l’Air Force était intéressée par l’histoire de ces trois femmes
de prisonniers de guerre mais lorsqu’ils lisent le script ils se retirent. Pour
eux, ce film risque d’être utilisé comme une arme psychologique par les Nord
Vietnamiens qui pourraient le montrer aux prisonniers de guerre pour leur saper
le moral. L’infidélité est un thème qui reste encore compliqué et, dans ce
cadre, rédhibitoire pour l’armée qui déconseille aux prisonniers qui rentrent à
la fin du conflit, en 1973, de voir le film.
Le Retour
Et puis, entre
1976 et 1978, une avalanche de films va s’occuper de ce sujet, de manières fort
différentes. Tout d’abord, Héros (J. Kagan, 1977), va traiter
du sujet sur le ton de la comédie. Parce que l’armée considère que le
personnage joué par Henry Winkler (le Fonzy de Happy Days) était déjà
fou avant d’aller au Vietnam et parce que le ton comique du film l’écarte du
devoir de réalisme, l’armée accepte que le film utilise certaines de ses
facilités pour quelques scènes. Ça ne sera pas le cas pour le dramatique Le
Retour (H. Ashby, 1978) où John Voight et Bruce Dern, deux vétérans, se
disputent l’amour de Jane Fonda. La production rencontre d’abord le corps des marines,
essentiellement pour collaborer sur le scénario pour des raisons
d’authenticité, mais l’armée ne voit aucun intérêt à montrer des vétérans
handicapés se droguer, hantés par les horreurs qu’ils ont pu commettre au Vietnam.
Après quelques tentatives de faire appel, on conseille à la production de se
tourner vers l’Administration des Vétérans. Après des débuts cordiaux, la
relation va pourtant vite tourner au vinaigre. La façon dont le scénario décrit
les vétérans handicapés met hors d’elle l’organisation qui clôt toute
collaboration. Lorsque le film sort sur les écrans, les spectateurs américains
découvrent un film émouvant et réaliste dont la justesse frappe parfois durement
et qui s’achève sur un vibrant plaidoyer contre la guerre. Le personnage de
John Voight, sur son fauteuil roulant, met en garde la jeunesse américaine dans
un discours qui semble être une réponse à l’introduction de Patton :
« Certains d'entre vous voient cet
uniforme et pensent aux films et à la gloire qu'amenaient les autres guerres,
ils ressentent un vague sentiment patriotique, et partent se battre dans ce
merdier. Croyez-moi, c'est pas comme dans les films. […] Je suis ici pour vous dire que c'est de la
merde. Cette guerre ne rime à rien, j'ai fait un tas de saloperies là-bas et
j'ai du mal à vivre avec. Je ne veux pas voir des gens comme vous revenir et
avoir à vivre avec cette merde toute votre vie. » Le fait que la guerre
soit depuis des années déjà terminée atténue quelque peu la force et la
sincérité de ce plaidoyer pacifiste porté par Jane Fonda et John Voight (tous
les deux d’anciens activistes anti-guerre). Après la sortie, les marines
affirment qu’ils sont prêts à collaborer à des productions qui ne partagent pas
forcément une vision angélique de l’armée et reconnaissent qu’ils ont mal jugé
le scénario et regrettent d’avoir rejeté un film dont ils aiment l’espoir qu’il
offre aux vétérans handicapés.
D’autres films
vont traiter du sujet, mais d’une manière beaucoup plus agressive. Dans Taxi
Driver (M. Scorsese, 1976), sous la plume de Paul Schrader, le vétéran
Travis Bickle veut nettoyer son pays. Cette idée d’une guerre qui ne se termine
pas et qui reviendra avec les vétérans pour lentement contaminer l’Amérique
sera également au centre de films comme Légitime Violence (J. Flynn en 1977)
ou Les
Guerriers de l’enfer (K. Reisz, 1978). Le premier est également écrit
par Paul Schrader qui revisite l’idée du vétéran qui pète les plombs. Après
avoir été prisonnier et torturé pendant des années, le major Charles Rane
rentre finalement chez lui en héros. Revivant mentalement les sévices qu’il a
subis en prison, il reste mutique lorsqu’une bande de voleurs cherche à lui
faire dire où il a caché l’argent qu’on lui a offert pour son retour. Les
bandits assassinent sa femme et son enfant puis le laissent pour mort. Sortant
de l’hôpital, il décide de se venger en déclarant une guerre qu’il compte bien
gagner cette fois-ci. L’armée rejette bien sûr ce film ultra violent et
nihiliste qui n’a aucun intérêt pour elle. Il est hors de question d’avaliser
l’idée que des militaires aient pu revenir ainsi de la guerre. Beaucoup plus
fin qu’on ne pourrait le croire, Légitime Violence va aussi mettre en place un schéma qui deviendra
presque un genre en soi, même s’il est aujourd’hui un peu oublié au profit du
premier Rambo (T. Kotcheff, 1982)
qui réexploitera les mêmes idées dans une intrigue assez similaire. L’année
suivante, les producteurs des Guerriers de l’enfer arrivent à
arracher une collaboration minimum en filmant un port militaire pour leur film
où un correspondant de guerre, traumatisé par l’absurdité de la guerre, ramène
deux kilos d’héroïne grâce à un marin, ex militaire, joué par Nick Nolte. Lors
de la livraison à San Francisco, la situation dégénère et le marin va devoir
reprendre les armes. L’héroïne est ici l’allégorie évidente d’un conflit revenant
empoisonner le pays alors que le vétéran se dit que cette guerre-là, il
pourrait la gagner. Bien sûr, il n’y a pas d’issue heureuse pour un soldat
valeureux sans guerre valeureuse à mener.
Légitime Violence
La même année,
Voyage
au bout de l’Enfer (M. Cimino, 1978) remporte un triomphe. À l’origine
du film, il y avait un autre scénario qui tournait autour d’une idée de roulette
russe. Le film ne se fera jamais et le scénario est racheté pour le concept. Dans
la nouvelle version, entièrement tricotée autour de ce concept, la roulette
russe devient une grossière métaphore du Vietnam et d’une époque où les gens
vivaient avec un canon sur la tempe et où seule la chance semblait dicter qui allait
vivre, mourir ou revenir handicapé…
Même si le
film semble nier cette idée en mettant en scène des personnages dont la
destinée semble conditionnée par leur personnalité. Ce n’est pas parce que le
récit est particulièrement sordide que l’armée refuse toute collaboration, c’est
parce qu’elle juge le script totalement farfelu. Face à la représentation de la
guerre développée par le scénario qui accumule les erreurs factuelles, le
Pentagone conseille à la production d’abandonner toute idée de collaboration et
d’embaucher un historien. Cimino affirme que le film n’a rien d’historique et
que, pour lui, il traite de la guerre, pas du Vietnam dont les habitants sont
réduits à une horde de psychopathes vociférant et de putes. Le Vietnam se limitant
presque à une création mentale, quasi abstraite, que quelques malheureuses
images d’archives (dont la médiocre qualité rend l’utilisation fort
malheureuse) tentent de crédibiliser, tout comme semble artificielle la ville
américaine créée à partir de quatre villes différentes, offrant un rendu bien
trop hétérogène. Mais si présenter des situations complètement fantaisistes ne
pose, en soi, aucun problème (même lorsqu’on a l’ambition de parler de l’histoire
américaine) car rien ne force un auteur à un devoir d’authenticité, la scène où
un soldat communiste décime les civils d’un village offre une relecture
dérangeante, ou du moins fort discutable, du massacre de My Lai et comme le
remarque l’historien du cinéma L. Suid, pour Cimino : « la guerre est un enfer pour les petits Blancs
américains, mais ne l’est pas pour les petits Asiatiques. » Peter
Arnett, lauréat du prix Pulitzer pour sa couverture du Vietnam, reconnaît tout
à fait le droit au cinéma d’user de licences poétiques mais avoue être troublé
par les gens qu’il peut croiser, persuadés d’avoir vu dans le film une
représentation de la réalité…
1978, c’est
aussi l’année où arrivent enfin les premiers films qui s’attèlent à mettre à
l’écran l’Amérique faisant la guerre au Vietnam. Les producteurs du premier, Les
Boys de la Company C (S. J. Furie, 1978) ne cherchent pas à tenter de
trouver un terrain d’entente avec l’armée, Furie déclarant qu’il n’a même pas
envie de dépenser les 10 cents pour appeler le Pentagone.
La première
partie du film s’attarde sur l’entraînement des troupes, elle sera reprise à
l’identique, Lee Ermey en sergent instructeur compris, par Full Metal Jacket (S.
Kubrick, 1987) et, bien que l’armée ait déclaré qu’elle n’y reconnaissait pas
ses techniques d’apprentissage, la comparaison avec le documentaire Basic
Training (F. Wiseman, 1971), consacré à l’entraînement des futurs marines,
permet d’apprécier la rigueur du film de Furie. La seconde partie s’éloigne de
la réalité des combats et cherche à jouer la carte de l’absurdité de la guerre
tous azimuts. Produit en parallèle du film de Furie, sort la même année le
méconnu Le Merdier (T. Post, 1978) qui s’attache au début du conflit lorsque
l’engagement américain se limitait à l’envoi de « conseillers
militaires » en racontant la prise d’un vieux poste abandonné par les Français
et qui ne représente aucune importance stratégique. L’opération se soldera par
une cuisante défaite et les Américains devront abandonner les soldats sud
vietnamiens derrière eux mais cette injustice révoltera un Américain qui ne
pourra se résoudre à fuir. Le script intéresse Baruch qui pense que l’armée
doit le prendre sérieusement en considération. Une liste de points posant
problème est dressée par l’Army. Par exemple, d’après l’armée, à cette époque
ne furent envoyés que des soldats d’élite, des personnages assez loin de la
bande de losers qu’on voit dans le film. Tout cela effraie les producteurs qui
abandonnent les négociations. Ce projet aurait pu bénéficier, après
négociations, de l’aide de l’armée mais la décision finale, qui appartient à
Baruch et aux bureaux des Affaires Publiques de chaque corps d’armée, tend à
être outrepassée par leurs propres représentants au bureau de Los Angeles. Ces
derniers fournissant des jugements sur les scripts alors que leur rôle devrait
se cantonner à assister techniquement les producteurs dans leurs démarches et à
fournir les informations techniques et procédurales. Le film se fait donc de
manière autonome. Il est tourné dans la vallée de San Fernando où des réfugiés
vietnamiens vont interpréter les soldats et les paysans, offrant des conseils
précieux à la production. Si l’on oublie un peu une dernière partie en porte à
faux avec ce qu’il montrait jusque-là, Le Merdier est une réussite
passionnante. Sans les outrances de langage (et l’anecdote hilarante de la
fellation narrée par Lancaster) et quelques détails gênants (la présence de la
drogue), il est fort probable que l’armée aurait effectivement pu se retrouver
dans ce portrait paternaliste de troupes un peu perdues, regrettant la
simplicité des batailles d’antan, dans la justification discrète et indirecte
de l’engagement (par la dimension tragique du retrait américain, vécu comme une
dramatique lâcheté) ou dans le rejet, dès le premier plan du film, de la responsabilité
des tortures sur les soldats vietnamiens… Au bout du compte, le film peine à
convaincre en salles et n’affiche que de très médiocres résultats avant de
sombrer dans l’oubli, balayé par l’arrivée attendue du phénomène Apocalypse
Now (Coppola, 1979).
Le development hell du film est bien connu,
largement documenté, et on ne pourra bien sûr revenir que sommairement sur cette
aventure largement aussi épique que le film lui-même. La chronique des
négociations entre Coppola et le Pentagone est à l’image de la production du
film : chaotique. Très tôt, dès 1973, Coppola a cherché une coopération et
explique à qui veut l’entendre avoir besoin d’images d’archives et de matériel,
beaucoup de matériel. Mais alors que Baruch conseille à Coppola de monter un
dossier solide pour le Pentagone, le chef de l’Armée de Terre refuse
catégoriquement le script. Pour eux, la liste de points problématiques est si
longue qu’il refuse d’en discuter et qualifie le projet de « tas d’ordures ». Parce que la
réputation de Coppola impressionne Baruch, ce dernier va tout de même insister
auprès des autorités militaires, mais sans succès. Le Pentagone, craignant la
nature polémique du film, souhaite cependant maintenir la connexion avec
Coppola, espérant pouvoir modifier certains points du scénario jugés outrageants
(la liste est trop longue pour être citée, disons simplement que pratiquement
chaque scène, du début à la fin, pose problème). Baruch organise une visite de
Fort Bragg pour Coppola et Milius, le scénariste, mais ces derniers ignorent
l’invitation. À la place, Coppola va voir l’armée australienne pour lui demander
s’il peut obtenir des B-52, 10 000 hommes et quelques 400 hélicoptères.
Après avoir été vertement renvoyé d’Australie, il va ensuite quémander un
arrangement avec le gouvernement des Philippines (dirigées par le sinistre dictateur
Marcos, soutenu par la CIA) qui a l’avantage de cumuler les décors adéquats et le
matériel américain disponible. Un accord est trouvé et le film se tournera donc
là-bas et même si ça rend impossible le prêt de matériel par le Pentagone, les
militaires et Coppola vont continuer les négociations. L’armée pourrait
envisager une coopération légère sur quelques points précis, mais souhaite
quelques changements dans le scénario, mêmes s’ils sont limités. Le réalisateur
se plaint d’avoir à discuter de son script avec l’armée, arguant que le
matériel devrait pouvoir être loué sans autre forme de discussion. Il accuse le
Pentagone de censure et leur écrit une lettre où il explique qu’il souhaite
faire un film sincère pour interroger l’Amérique et la guerre avec sérieux, expliquant
également qu’il a effectué les changements demandés, ce qui est un pur
mensonge. Le Pentagone prend acte et lui répète qu’il ne peut, de toute façon, fournir
du matériel sur le sol philippin. De son côté, Coppola accuse le Pentagone
d’interdire aux soldats américains basés là-bas de participer, durant leur
temps libre, au tournage, sans savoir que c’est une loi du pays qui leur défend
de le faire. Le réalisateur, sourd aux remarques du Pentagone, continue de
demander une collaboration qui s’avère, mois après mois, de plus en plus
impossible. Il va rapidement connaître une situation critique, le tournage d’Apocalypse
Now virant à une expérience extrême qui aura presque sa peau. Pendant
les quelques jours où le tournage doit s’arrêter à cause du passage d’un typhon,
Coppola et le Département de la Défense essaient une nouvelle fois de prendre rendez-vous.
Si le Département ne veut envoyer personne aux Philippines, ils invitent
Coppola à Washington. Ce dernier ignorera l’invitation et enverra à sa place son
avocat négocier discrètement des archives sonores de bruits d’avions et
d’hélicoptères. Le Pentagone reconnaît la main de Coppola et doit lui expliquer
que ses efforts de dissimulation sont inutiles en lui rappelant que ces
documents sont disponibles dans le commerce !
Après des
années de production, Apocalypse Now, le plus gros film de
guerre jamais réalisé sans l’aide du Pentagone, sort en salles en 1979.
Empruntant (volontairement ou pas) énormément au Sable était rouge (C. Wilde, 1967), le film offre une chorégraphie
pyrotechnique aboutie et spectaculaire comme on n’en avait pas vu depuis
longtemps. Encore une fois, il ne faut pas y chercher le moindre réalisme, la
vision de la guerre du Vietnam est un patchwork issu de l’imagination flamboyante
de John Milius et des idées éblouissantes de Coppola. Parfois confus dans ses
intentions, émanant probablement de la nature contradictoire de ses deux
auteurs, le film orchestre une vision dantesque, surréaliste et surtout psychédélique
de la guerre. Comme l’expliquait Milius, si la Seconde Guerre mondiale fut
celle des kids de Brooklyn, celle du Vietnam fut celle des kids californiens
abreuvés de rock’n’roll qui déversèrent des milliers de tonnes de bombes et de
munitions sur un pays profondément rural. La confrontation asymétrique hallucinée
d’Apocalypse
Now va s’imposer (et s’impose
encore malgré les films des années 80) comme l’une des représentations les plus
saisissantes de cette guerre, sans que soient vraiment discutées la part de
réalisme et celle de fantaisie d’une œuvre traitant bien plus des obsessions de
ses auteurs que du conflit.
Durant ces
années, l’armée, frappée de paranoïa, va avoir du mal à reconnaître à Hollywood
la responsabilité de porter ses intérêts à l’écran. Manquant de moyens de
pression et paralysée par un conflit catastrophique, la décennie qui débuta
avec Patton
et s’acheva avec Apocalypse Now montre la prise
d’indépendance de l’industrie du cinéma vis-à-vis du pouvoir militaire. L’armée
ne peut que subir l’évolution des mœurs et constater que l’époque n’est plus au
contrôle d’une image dont la représentation cinématographique ne lui appartient
plus…
À partir de la
fin des années 70, les différents corps militaires vont avoir la tâche
essentielle de renouer les liens avec Hollywood. Mais si l’industrie du cinéma a
eu un besoin pendant de nombreuses années presque vital des militaires, l’image
de ces derniers est à cette époque si entachée que personne, à part Hollywood
et son industrie, ne semble avoir la capacité de la changer. La création de
cette nouvelle image sera le défi des années 80. La défiance politique et
l’humiliation de la défaite vont laisser place à Ronald « America is back » Reagan. Pour
l’armée et Hollywood, ce sera le temps d’une nouvelle lune de miel…
Intéressant!
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