Ron Cobb, pendant des années, a publié dans la presse radicale californienne des dessins en noir et blanc.
Voici une interview donnée à ABC et une autre publiée en introduction de l'un de ses receuils : "Mah Fellow Americans"...
Vos dessins étaient-ils
politiques ?
Oui oui, je pense
qu’ils l’étaient, mais d’une façon un peu étrange. J’ai réalisé que j’avais une
opportunité il y a longtemps, à Los Angeles, en 1965, de faire un dessin pour
un petit journal underground qui venait juste de démarrer. J’ai réalisé que si
je me lançais là-dedans, parce que j’étais intéressé par ce genre de dessins et
par travailler au stylo et à l’encre, je ne voulais surtout pas faire des
caricatures de présidents à la chaine ou pointer mon doigt vers untel ou untel…
Je pensais qu’il y en avait assez
partout. J’ai pensé à Daumier, aux désastres de la guerre de Goya et je me suis
dit pourquoi n’y a-t-il pas plus de personnes à faire ça, ce genre de
tapisseries grandioses ? Et je voulais questionner la nature même de
progrès, et les résultats de la révolution industrielle. Je suis plutôt un
mordu de science, alors je dessine toutes sortes de choses, je pouvais creuser
des choses que personne d’autre ne traitait vous savez, comme l’anthropologie
ou les sciences du comportement, les sciences du cerveau tout ça… Toutes mes
opinions politiques viennent de mes questions bizarres sur l’origine de
l’homme, sur la nature humaine et sur la remise en cause des hypothèses
politiques que nous faisons. J’ai pioché à droite et à gauche mais l’ensemble
du spectre politique ne m’a guère impressionné. Je n’y crois pas beaucoup.
Mais j’ai
assimilé tout ça parce que c’est la langue que beaucoup de gens étaient habitués
à utiliser, mais j’ai toujours cherché à détrôner tout ça un petit peu et à
dire que plus on en parle, plus on peut y réfléchir. Ainsi, chaque dessin que je
faisais était une forme d’exploration pour essayer d’être original, essayer de
trouver quelque chose qui me fasse rire, généralement c’était l’absurdité…
J’étais très intéressé par l’absurdité, par beaucoup d’autres choses aussi,
inévitablement je retombais dans les dispositifs de S-F, dans l’anticipation de l’avenir, j’ai donc
fait de nombreux dessins sur l’après-guerre nucléaire qui étaient…
Très
sombres ?
Oui, très
sombres, mais avec une note d’humour.
Oui c’est vrai…
D’après la
rumeur, il parait qu’on a gagné…
source : intw ABC
Eric Matlen :
Ron, que faites-vous, et pourquoi dessinez-vous ?
Ron Cobb : D’abord,
et en premier lieu, parce que j’aime ça. Après, d’une manière plus profonde
pourquoi j’en ressens le besoin ? Je ne suis pas très sûr… J’ai toujours
été inconfortable avec les gens qui étaient certains de leur monde et de leurs
valeurs, quelles qu’elles soient, gauche, droite, au centre, religieuses ou
non… Je trouve donc de la sécurité à pointer tout exemple valide de
contradiction ou de paradoxe dans leur cadre, dans leur orientation personnelle
ou leurs croyances.
Je prends
beaucoup de plaisir à créer de grosses confusions et de l’incertitude. J’aime
penser que je laisse une trainée de gens très perplexes qui, potentiellement –
du moins c’est ce que j’aime penser – dans un sens ancien, quasi biblique,
ressentiront une certaine humilité devant la réalité. Ils
pourraient ne pas être si condescendants vis-à-vis des choses. Ca, pour moi,
c’est le début de l’organisation fonctionnelle, de valeurs fonctionnelles.
La seule chose que j’accepte à
propos de l’organisation de pensée, qui n’est juste qu’une série d’impulsions
nerveuses, dans ce que nous pouvons appeler la perception ou la conception,
c’est que c’est une extension des besoins fonctionnels de l’animal. Je pense que l'Homme, pour
faire avancer les choses, doit temporairement organiser son comportement et se concentrer sur ses pensées, en se fondant sur certains contes populaires traitant de la
véritable nature du monde.
Je n’ai rien contre ça. Ce qui me
pose problème, c’est lorsque les gens commencent à ressentir que ces
organisations temporaires de pensée qui facilitent l’action sont la réalité
elle-même. Ils commencent à penser que le monde est ainsi, qu’il se résume à ce
système, ou celui là. Je ne peux pas accepter que n’importe lequel de ces
systèmes puisse avoir d’autre valeur que leur utilité. Et c’est toujours très
temporaire.
Je connais de nombreuses
personnes qui pensent que vous êtes un dessinateur politique, mais pas vous.
Pourquoi vous voyez vous différemment ?
Quand quelqu’un dit
« dessinateur politique » mon esprit me projette l’image d’un type
particulièrement investi dans l’action chose politique, commentant
continuellement les questions, les personnalités et les positions politiques.
Je pense que la plupart des dessins éditorialistes ou politiques opère à
l’intérieur des valeurs assumées de notre culture. Nous avons tout un tas de
définitions sur ce qui se passe, ce qui est mauvais, ce qui est à éviter, ce
qui doit être recherché. Et les dessinateurs penchent d’un côté ou de l’autre
constamment, commentant cet aspect ou celui-là, reflétant sans cesse les
traditionnelles aspirations et avertissements de l’homme.
Je trouve assez
frustrant de n’évoluer que dans cette zone, et de constamment occuper les
domaines des positions politiques qui s’affrontent les unes contre les autres.
Tout ça est bien trop simpliste. Ils jouent avec des briques et j’ai l’impression
que je voudrais les éclater…
Et donc, même si je peux puiser dans
ce qui pourrait être considéré comme un domaine politique de l'activité humaine,
je suis nettement plus fasciné par l’Homme et sa relation avec la réalité.
Cette relation m’intrigue tellement plus que l’Homme et sa relation avec l’Homme,
parce que c’est tellement subjectif. On se retrouve pris au piège d’un grand
nombre d’hypothèses sur l’humanité, à propos de ce qui est bon, de ce qui ne l’est
pas. Je n’aime pas entrer dans cette zone.
Quand vous dites « la relation de l’homme avec sa réalité »,
qu’entendez-vous par « réalité » ?
La réalité
est le mot que nous utilisons dans son sens le plus large quand nous disons
simplement « ce qui est ». Utiliser ce mot ne signifie pas que j’en
sache quoique ce soit. C’est simplement un moyen d’engager la conversation. La
réalité est un mot que vous ne pouvez pas définir par d’autres mots. C’est à la
limite de notre système de langage.
Donc, je suppose, ça
explique mes propres tentatives pour tenter d’obtenir une très large image de l’Homme
tel qu’il est, en opposition à l’Homme tel qu’il pense être. Je
suis plus intéressé par la pensée
qui est modifié par l’expérience qu’une pensée qui a été modifié par plus
de réflexion.
Les gens me
disent que vos dessins montrent des positions extrêmes, et que pour cette
raison, ils ne sont guère pertinents. Qu’avez-vous à dire à ça ?
J’aime les
situations puissantes, dramatiques. J’aime amener les gens sur la brèche
d’évènements extrêmes. Ce ne fait pas de moi un extrémiste. Vous savez, en
aucun cas je ne dis que ce que je dessine va arriver. Tout ce que je fais,
c’est simplement d’encrer des feuilles, ce n’est pas la réalité. C’est juste
que lorsque je créé quelque chose sur la page, j’utilise l’illusion de la
réalité comme d’un effet.
Je suis fasciné
avec l’Homme mis dans une situation de stress, je suis fasciné avec l’Homme en
état de crise. J’aime donc créer des crises artificielles, parce que je pense
que plutôt que de faire un dessin timide ou inoffensif, je préfère nettement
dessiner quelqu’un dans une situation où on réagit, une situation où l’on se
retrouve à dire « Ouais ! Ca pourrait arriver ! » ou
« Que dirai-je si ça devait arriver ? »…
Pourquoi les
situations de crise vous attirent-elles ?
Ca m’attire parce
que l’Homme, certainement l’Homme occidental moderne, a l’abilité de construire
des murs entre lui-même et la nature, la réalité, et tout ce qui peut se
produire. Nous avons développé la capacité de vivre sur un échiquier où de
nombreuses valeurs illusoires peuvent se maintenir et offrir l’illusion de la
réalité, où règnent les définitions.
Trop souvent, le
simple fait que l'homme a des mots pour des choses, trop
souvent le fait même que l’homme a la possibilité de ranger et catégoriser… il
exagère et commence à conditionner ses enfants pour voir toute la réalité, afin
de réduire tout ce qui est vrai et réel, tout ce qui peut être parlé, décrit et
classé. Ce qui est une limitation lamentable.
Mais une crise, d’une
manière ou d’une autre, amènera l’Homme à faire face à son créateur, ou mènera
l’Homme à faire face à sa nature profonde. Ces moments court-circuitent le
système nerveux humain, biologiquement aussi, dans un sens, et remet les Hommes
tous ensembles. Les catégories doivent être mises de côté, et vous allez ressentir
quelque chose, du sol au plafond !
Ces moments, ces moments fulgurants,
quand tout le monde est réuni, comme Jung disait, sont les seuls moments où il
est véritablement sain, dans un certain sens. C’est potentiellement
traumatisant, naturellement, mais au bout du compte j’aimerai voir les gens
tous ensembles plus souvent. Je veux dire, c’est terrible qu’on doive attendre
les désastres ou les renversements d’ordre hideux pour que ça se fasse. Mais
ces moments, comme les orgasmes sexuels, la peur de la mort, les catastrophes,
la peur extrême ou la tristesse, ou simplement les contradictions intellectuelles
laissent l’Homme face à face avec le vide. Et dans ces grands moments, l’Homme
est à son plus haut potentiel, parce qu'il est intégré.
J’aime créer des contradictions
intellectuelles, exposer des paradoxes. Vous savez, la nature d’un paradoxe est
qu’il existe à l’intérieur même d’un système de croyances. Ce n’est pas prendre
une autre idée ou croyance contradictoire et les jouer l’une contre l’autre. Il
s’agit de prendre deux éléments d’une croyance et de les mettre côtes à côtes,
et de constater que ça ne correspond pas. C’est ce qui m’intrigue.
Laissez-moi vous poser cette
question : préconisez-vous des crises, actuelles ou hypothétiques ?
A aucun moment je ne préconise ce
que je dessine comme pouvant arriver. Et je pense que la plupart des gens l’ont
compris, ils ont compris que je joue avec l’idée, après tout c’est un dessin,
que je caricature la réalité pour présenter un modèle de crise afin de le
placer devant les yeux de quelqu’un pour qu’il puisse en faire l’expérience,
qu’il puisse en intégrer les effets, que ce soit la colère, la peur… Je ne fais
pas la promotion de ces choses, comme je l’ai dit, mais j’aime les faire
arriver dans un journal avant la possibilité qu’elle n’arrive dans les rues.
Parce que je pense qu’on n’a pas de troisième option. Soit on apprend à faire
face aux catastrophes imminentes, avec le
mal, avec nos contradictions et nos paradoxes et d’en discuter, ou cela va nous
arriver.
Qu’est ce qui sauvera l’Homme à
votre avis ?
Je ne suis pas trop habitué à y
penser de manière consciente, comme je ne suis pas trop habitué à parler du
passé ou du futur. Je regarde simplement ce que j’ai en face de moi, et pas
grand-chose d’autre. J’ai de vagues idées à propos du futur, mais une fois
encore, l’idée de le prévoir ou d’être sûr de quelque chose… Personnellement je
n’accepte pas la validité des prédictions. L’acte de prédire le futur garanti
plus ou moins que ça n’arrivera pas. Parce que personne ne peut prévoir le
futur sur les bases de ce qui se passe maintenant, et le futur se révèle
toujours différent, d’une manière ou d’une autre.
Je veux être ouvert, je veux être
réceptif à ce qui va arriver plutôt qu’attendre des choses qui, je pense, vont
arriver. Je ne vois aucun avantage à être intellectuellement préparé pour une
projection soigneusement construite de ce que pourrait être le futur. Je
voudrais plutôt être préparé en termes de sensations. Je n’aime pas avoir des
idées spécifiques à propos de ce qui va arriver parce que ça me désole de
penser à des choses qui n’arriveront jamais.
J’ai le sentiment que l’homme
pourrait vivre dans sa propre peau d’une manière nettement plus confortable, et
que l’homme s’apprête à agripper ce qu’il est réellement, à s’ouvrir à
tous ses potentiels, qui restent globalement mystérieux. Je pense que
maintenant nous avons à connaitre ce qui compte le plus, et que ce qui motive
véritablement l’Homme est encore peu compris…
Et juste comprendre ça, je pense,
est un pas dans la bonne direction. Etre simplement ouvert à l’idée qu’il nous
reste beaucoup à apprendre. Restons ouverts d’esprits. Nous pouvons artificiellement
prendre des décisions, mais ne fermons pas le livre. On commence simplement à
nous comprendre. J’aimerai que l’Homme soit un peu plus audacieux, un peu plus
prêt et peut être même un peu plus excité à propos de l’idée que nous ne sommes
pas complets, que nous ne sommes pas complètement définis. Parlons-en !
Explorons-ça !
BIBLIOGRAPHIE :
• Free (1972, Yookx Press)
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• Cobb Book, The (1975, Wild & Woolley); (1981, 2nd edition)
• Cobb Book, The (1979, Big O Publishing)
• Cobb Again (1976, Wild & Woolley)
• Livre de Cobb, Le (1978, Dandelion)
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• Mah Fellow Americans (1968, Sawyer Press)
• My Fellow Americans, 1st (1970, Price/Stern/Sloan); (1971, 2nd edition)
• Raw Sewage (1970, Price/Stern/Sloan)
• RCD-25 (1967, Sawyer Press)
• Tous Copains, Tous Américains (1975, Editions Kesserling)
• ?Y qué eso de la Ecología? (1980, Integral Ediciones)
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• Tous Copains, Tous Américains (1975, Editions Kesserling)
• ?Y qué eso de la Ecología? (1980, Integral Ediciones)
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