lundi 10 novembre 2014

RON COBB 02 : LE TEMPS DES DESSINS POLITIQUES




Ron Cobb, pendant des années, a publié dans la presse radicale californienne des dessins en noir et blanc.
Voici une interview donnée à ABC et une autre publiée en introduction de l'un de ses receuils : "Mah Fellow Americans"...



Vos dessins étaient-ils politiques ?
Oui oui, je pense qu’ils l’étaient, mais d’une façon un peu étrange. J’ai réalisé que j’avais une opportunité il y a longtemps, à Los Angeles, en 1965, de faire un dessin pour un petit journal underground qui venait juste de démarrer. J’ai réalisé que si je me lançais là-dedans, parce que j’étais intéressé par ce genre de dessins et par travailler au stylo et à l’encre, je ne voulais surtout pas faire des caricatures de présidents à la chaine ou pointer mon doigt vers untel ou untel…  Je pensais qu’il y en avait assez partout. J’ai pensé à Daumier, aux désastres de la guerre de Goya et je me suis dit pourquoi n’y a-t-il pas plus de personnes à faire ça, ce genre de tapisseries grandioses ? Et je voulais questionner la nature même de progrès, et les résultats de la révolution industrielle. Je suis plutôt un mordu de science, alors je dessine toutes sortes de choses, je pouvais creuser des choses que personne d’autre ne traitait vous savez, comme l’anthropologie ou les sciences du comportement, les sciences du cerveau tout ça… Toutes mes opinions politiques viennent de mes questions bizarres sur l’origine de l’homme, sur la nature humaine et sur la remise en cause des hypothèses politiques que nous faisons. J’ai pioché à droite et à gauche mais l’ensemble du spectre politique ne m’a guère impressionné. Je n’y crois pas beaucoup. 



Mais j’ai assimilé tout ça parce que c’est la langue que beaucoup de gens étaient habitués à utiliser, mais j’ai toujours cherché à détrôner tout ça un petit peu et à dire que plus on en parle, plus on peut y réfléchir. Ainsi, chaque dessin que je faisais était une forme d’exploration pour essayer d’être original, essayer de trouver quelque chose qui me fasse rire, généralement c’était l’absurdité… J’étais très intéressé par l’absurdité, par beaucoup d’autres choses aussi, inévitablement je retombais dans les dispositifs de S-F,  dans l’anticipation de l’avenir, j’ai donc fait de nombreux dessins sur l’après-guerre nucléaire qui étaient…
Très sombres ?
Oui, très sombres, mais avec une note d’humour.
Oui c’est vrai…
D’après la rumeur, il parait qu’on a gagné…

source : intw ABC





Eric Matlen : Ron, que faites-vous, et pourquoi dessinez-vous ?
Ron Cobb : D’abord, et en premier lieu, parce que j’aime ça. Après, d’une manière plus profonde pourquoi j’en ressens le besoin ? Je ne suis pas très sûr… J’ai toujours été inconfortable avec les gens qui étaient certains de leur monde et de leurs valeurs, quelles qu’elles soient, gauche, droite, au centre, religieuses ou non… Je trouve donc de la sécurité à pointer tout exemple valide de contradiction ou de paradoxe dans leur cadre, dans leur orientation personnelle ou leurs croyances.
Je prends beaucoup de plaisir à créer de grosses confusions et de l’incertitude. J’aime penser que je laisse une trainée de gens très perplexes qui, potentiellement – du moins c’est ce que j’aime penser – dans un sens ancien, quasi biblique, ressentiront une certaine humilité devant la réalité. Ils pourraient ne pas être si condescendants vis-à-vis des choses. Ca, pour moi, c’est le début de l’organisation fonctionnelle, de valeurs fonctionnelles.
La seule chose que j’accepte à propos de l’organisation de pensée, qui n’est juste qu’une série d’impulsions nerveuses, dans ce que nous pouvons appeler la perception ou la conception, c’est que c’est une extension des besoins fonctionnels de l’animal. Je pense que l'Homme, pour faire avancer les choses, doit temporairement organiser son comportement et se concentrer sur ses pensées, en se fondant sur certains contes populaires traitant de la véritable nature du monde.
Je n’ai rien contre ça. Ce qui me pose problème, c’est lorsque les gens commencent à ressentir que ces organisations temporaires de pensée qui facilitent l’action sont la réalité elle-même. Ils commencent à penser que le monde est ainsi, qu’il se résume à ce système, ou celui là. Je ne peux pas accepter que n’importe lequel de ces systèmes puisse avoir d’autre valeur que leur utilité. Et c’est toujours très temporaire.


Je connais de nombreuses personnes qui pensent que vous êtes un dessinateur politique, mais pas vous. Pourquoi vous voyez vous différemment ?
Quand quelqu’un dit « dessinateur politique » mon esprit me projette l’image d’un type particulièrement investi dans l’action chose politique, commentant continuellement les questions, les personnalités et les positions politiques. Je pense que la plupart des dessins éditorialistes ou politiques opère à l’intérieur des valeurs assumées de notre culture. Nous avons tout un tas de définitions sur ce qui se passe, ce qui est mauvais, ce qui est à éviter, ce qui doit être recherché. Et les dessinateurs penchent d’un côté ou de l’autre constamment, commentant cet aspect ou celui-là, reflétant sans cesse les traditionnelles aspirations et avertissements de l’homme.
Je trouve assez frustrant de n’évoluer que dans cette zone, et de constamment occuper les domaines des positions politiques qui s’affrontent les unes contre les autres. Tout ça est bien trop simpliste. Ils jouent avec des briques et j’ai l’impression que je voudrais les éclater…
Et donc, même si je peux puiser dans ce qui pourrait être considéré comme un domaine politique de l'activité humaine, je suis nettement plus fasciné par l’Homme et sa relation avec la réalité. Cette relation m’intrigue tellement plus que l’Homme et sa relation avec l’Homme, parce que c’est tellement subjectif. On se retrouve pris au piège d’un grand nombre d’hypothèses sur l’humanité, à propos de ce qui est bon, de ce qui ne l’est pas. Je n’aime pas entrer dans cette zone.

Quand vous dites  « la relation de l’homme avec sa réalité », qu’entendez-vous par « réalité » ?
La réalité est le mot que nous utilisons dans son sens le plus large quand nous disons simplement « ce qui est ». Utiliser ce mot ne signifie pas que j’en sache quoique ce soit. C’est simplement un moyen d’engager la conversation. La réalité est un mot que vous ne pouvez pas définir par d’autres mots. C’est à la limite de notre système de langage.
Donc, je suppose, ça explique mes propres tentatives pour tenter d’obtenir une très large image de l’Homme tel qu’il est, en opposition à l’Homme tel qu’il pense être. Je suis plus intéressé par la pensée qui est modifié par l’expérience qu’une pensée qui a été modifié par plus de réflexion.



Les gens me disent que vos dessins montrent des positions extrêmes, et que pour cette raison, ils ne sont guère pertinents. Qu’avez-vous à dire à ça ?
J’aime les situations puissantes, dramatiques. J’aime amener les gens sur la brèche d’évènements extrêmes. Ce ne fait pas de moi un extrémiste. Vous savez, en aucun cas je ne dis que ce que je dessine va arriver. Tout ce que je fais, c’est simplement d’encrer des feuilles, ce n’est pas la réalité. C’est juste que lorsque je créé quelque chose sur la page, j’utilise l’illusion de la réalité comme d’un effet.
Je suis fasciné avec l’Homme mis dans une situation de stress, je suis fasciné avec l’Homme en état de crise. J’aime donc créer des crises artificielles, parce que je pense que plutôt que de faire un dessin timide ou inoffensif, je préfère nettement dessiner quelqu’un dans une situation où on réagit, une situation où l’on se retrouve à dire « Ouais ! Ca pourrait arriver ! » ou « Que dirai-je si ça devait arriver ? »…

Pourquoi les situations de crise vous attirent-elles ?
Ca m’attire parce que l’Homme, certainement l’Homme occidental moderne, a l’abilité de construire des murs entre lui-même et la nature, la réalité, et tout ce qui peut se produire. Nous avons développé la capacité de vivre sur un échiquier où de nombreuses valeurs illusoires peuvent se maintenir et offrir l’illusion de la réalité, où règnent les définitions.
Trop souvent, le simple fait que l'homme a des mots pour des choses, trop souvent le fait même que l’homme a la possibilité de ranger et catégoriser… il exagère et commence à conditionner ses enfants pour voir toute la réalité, afin de réduire tout ce qui est vrai et réel, tout ce qui peut être parlé, décrit et classé. Ce qui est une limitation lamentable.
Mais une crise, d’une manière ou d’une autre, amènera l’Homme à faire face à son créateur, ou mènera l’Homme à faire face à sa nature profonde. Ces moments court-circuitent le système nerveux humain, biologiquement aussi, dans un sens, et remet les Hommes tous ensembles. Les catégories doivent être mises de côté, et vous allez ressentir quelque chose, du sol au plafond !
Ces moments, ces moments fulgurants, quand tout le monde est réuni, comme Jung disait, sont les seuls moments où il est véritablement sain, dans un certain sens. C’est potentiellement traumatisant, naturellement, mais au bout du compte j’aimerai voir les gens tous ensembles plus souvent. Je veux dire, c’est terrible qu’on doive attendre les désastres ou les renversements d’ordre hideux pour que ça se fasse. Mais ces moments, comme les orgasmes sexuels, la peur de la mort, les catastrophes, la peur extrême ou la tristesse, ou simplement les contradictions intellectuelles laissent l’Homme face à face avec le vide. Et dans ces grands moments, l’Homme est à son plus haut potentiel, parce qu'il est intégré.
J’aime créer des contradictions intellectuelles, exposer des paradoxes. Vous savez, la nature d’un paradoxe est qu’il existe à l’intérieur même d’un système de croyances. Ce n’est pas prendre une autre idée ou croyance contradictoire et les jouer l’une contre l’autre. Il s’agit de prendre deux éléments d’une croyance et de les mettre côtes à côtes, et de constater que ça ne correspond pas. C’est ce qui m’intrigue.


Laissez-moi vous poser cette question : préconisez-vous des crises, actuelles ou hypothétiques ?
A aucun moment je ne préconise ce que je dessine comme pouvant arriver. Et je pense que la plupart des gens l’ont compris, ils ont compris que je joue avec l’idée, après tout c’est un dessin, que je caricature la réalité pour présenter un modèle de crise afin de le placer devant les yeux de quelqu’un pour qu’il puisse en faire l’expérience, qu’il puisse en intégrer les effets, que ce soit la colère, la peur… Je ne fais pas la promotion de ces choses, comme je l’ai dit, mais j’aime les faire arriver dans un journal avant la possibilité qu’elle n’arrive dans les rues. Parce que je pense qu’on n’a pas de troisième option. Soit on apprend à faire face aux catastrophes imminentes, avec le mal, avec nos contradictions et nos paradoxes et d’en discuter, ou cela va nous arriver.

Qu’est ce qui sauvera l’Homme à votre avis ?
Je ne suis pas trop habitué à y penser de manière consciente, comme je ne suis pas trop habitué à parler du passé ou du futur. Je regarde simplement ce que j’ai en face de moi, et pas grand-chose d’autre. J’ai de vagues idées à propos du futur, mais une fois encore, l’idée de le prévoir ou d’être sûr de quelque chose… Personnellement je n’accepte pas la validité des prédictions. L’acte de prédire le futur garanti plus ou moins que ça n’arrivera pas. Parce que personne ne peut prévoir le futur sur les bases de ce qui se passe maintenant, et le futur se révèle toujours différent, d’une manière ou d’une autre.
Je veux être ouvert, je veux être réceptif à ce qui va arriver plutôt qu’attendre des choses qui, je pense, vont arriver. Je ne vois aucun avantage à être intellectuellement préparé pour une projection soigneusement construite de ce que pourrait être le futur. Je voudrais plutôt être préparé en termes de sensations. Je n’aime pas avoir des idées spécifiques à propos de ce qui va arriver parce que ça me désole de penser à des choses qui n’arriveront jamais.
J’ai le sentiment que l’homme pourrait vivre dans sa propre peau d’une manière nettement plus confortable, et que l’homme s’apprête à agripper ce qu’il est réellement, à s’ouvrir à tous ses potentiels, qui restent globalement mystérieux. Je pense que maintenant nous avons à connaitre ce qui compte le plus, et que ce qui motive véritablement l’Homme est encore peu compris…
Et juste comprendre ça, je pense, est un pas dans la bonne direction. Etre simplement ouvert à l’idée qu’il nous reste beaucoup à apprendre. Restons ouverts d’esprits. Nous pouvons artificiellement prendre des décisions, mais ne fermons pas le livre. On commence simplement à nous comprendre. J’aimerai que l’Homme soit un peu plus audacieux, un peu plus prêt et peut être même un peu plus excité à propos de l’idée que nous ne sommes pas complets, que nous ne sommes pas complètement définis. Parlons-en ! Explorons-ça !

 
BIBLIOGRAPHIE :
Free (1972, Yookx Press)
Cobb Book, The (1975, Wild & Woolley); (1981, 2nd edition)
Cobb Book, The (1979, Big O Publishing)
Cobb Again (1976, Wild & Woolley)
Livre de Cobb, Le (1978, Dandelion)
Mah Fellow Americans (1968, Sawyer Press)
My Fellow Americans, 1st (1970, Price/Stern/Sloan); (1971, 2nd edition)
Raw Sewage (1970, Price/Stern/Sloan)
RCD-25 (1967, Sawyer Press)
Tous Copains, Tous Américains (1975, Editions Kesserling)
?Y qué eso de la Ecología? (1980, Integral Ediciones)







 

  










 RON COBB INTERVIEW CARRIERE, 18 PAGES DANS AAARG #6 - www.aaarg.fr

 

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