lundi 15 mai 2017

DE HOLLYWOOD A WASHINGTON 8 - L'AMERIQUE EST DE RETOUR

« Dans la vie politique américaine, il y a peu de routes aussi fréquentées que celle qui mène de Washington à Hollywood, de la capitale du pouvoir à celle du glamour » écrit le journaliste Ronald Brownstein en 1992. Depuis des années, ces connexions sont étudiées, mises à jour, et de nombreux journalistes se sont interrogés sur les liens qui unissent le pouvoir militaire à l’usine à rêve. Entre censure et propagande, l’influence du Pentagone sur une partie du cinéma américain est un secret de polichinelle… Des œuvres qui vont naturellement dans le sens de l’armée à celles qui tentent de la remettre en question, entre compromis et négociations, Hollywood semble avoir cédé énormément aux idéologues de Washington au nom du profit et de l’efficacité. AAARG! revient sur la liaison contre nature qui unit le cinéma et l’armée, leurs motivations ainsi que les conséquences de tels rapports.



De Hollywood à Washington
L’AMÉRIQUE DE RETOUR
1980 - 1990
Les années 80 sont celles de ce qu’on a appelé le « cinéma reaganien ». Ce cinéma de gros bras surarmés, toujours prêts à botter des culs, est au centre de toutes les analyses du cinéma d’action de la décennie. Cultivant par une éloquence bravache incomparable sa proximité avec ces nouveaux héros américains, Ronald Reagan assure par sa présence la mise au rencard des années de doute, de dépression et de paranoïa que furent les seventies. L’Amérique s’affirme à nouveau dans l’offensive, les Faucons sont de retour à la Maison Blanche et le slogan « America is back » s’appuie sur une remise en scène de la guerre froide et un retour à une politique agressive vis-à-vis de l’URSS. Le cinéma va accompagner cette réminiscence presque nostalgique d’une époque binaire où le sort de la planète dépendait de l’issue d’une partie que se jouaient les bons et les méchants. Les soviétiques reviennent en force sur les écrans et la menace qui pèse sur le pays va devenir protéiforme et se décliner à l’infini. Agents soviétiques, aliens chasseurs d’humains, terroristes allemands ou libyens, soldats cubains, boxeurs dopés ou cyborgs venant du futur, tous rappellent le péril qui pèse sur la nation américaine. Michael Winner (réalisateur d’Un Justicier dans la ville avec Bronson) rappelle l’ambiance de l’époque : « Les Américains ont combattu le communisme pour la première fois pendant la guerre du Vietnam mais les studios penchaient alors du côté de la culpabilité. Puis est arrivé Reagan qui allait ressortir de ses bagages le sentiment de patriotisme et de fierté. C’est lui qui a permis au cinéma antimarxiste de s’exprimer ! » Le plus souvent, le cinéma reaganien est l’histoire d’un homme qui se dresse contre beaucoup d’autres. Pourtant ces récits héroïques où l’on célèbre l’individualisme dans une orgie de rafales et d’explosions sont cependant très éloignés des préoccupations bien plus pragmatiques des différents corps d’armée. Parce qu’il existe une autre bataille qui s’est déroulée en parallèle du cinéma reaganien, celle de la représentation de forces armées à l’image entachée par une guerre impopulaire et à l’aube de la nouvelle décennie, l’armée, toujours comptable de nombreux scandales, est plus que jamais un sujet de dissension nationale. 
Le premier mandat de Reagan (1981/1985) va être le témoin du réajustement tactique de l’armée face à Hollywood. Les militaires vont devoir réviser leurs exigences. Traiter le milieu du cinéma avec un dédain certain est devenu contreproductif, les grands films de la fin des années 70 comme Apocalypse Now ou Voyage au bout de l’Enfer ayant montré que les réalisateurs pouvaient se passer de toute collaboration. Les tournages en Europe ou en Asie escamotent des mains le contrôle qu’exerçait traditionnellement le Pentagone sur les films mettant en scène l’armée des USA. Le second mandat (1985/1989) restera lui comme le témoin de la dernière grande vague de films sur le Vietnam exprimant, avec ou sans le consentement de l’armée, une véritable expiation. Ce sera également l’époque où, tout autour de ce cycle vietnamien, s’articulera une nouvelle agressivité paranoïaque dans laquelle l’URSS sera rejointe par une flopée de nouvelles menaces plus ou moins fantaisistes. Ce que le stratège J.M. Valantin appelle « le cinéma de sécurité nationale » (c’est-à-dire le cinéma qui met en scène la nation en danger) va s’émanciper du film de guerre traditionnel et arpenter les thèmes et figures du thriller, du film d’action et du cinéma fantastique.
Les différents corps d’armée ne sont pas sortis de la guerre du Vietnam (1955/1975) de la même manière et ce sont l’Army et les Marines qui ont le plus souffert. Entre la terrible image de GIs pataugeant dans la boue et mis en pièces par un ennemi invisible et celle des atrocités de My Lai, les troupes au sol jouissent d’une réputation exécrable. En comparaison, la Navy, qui est restée à la périphérie du conflit, bénéficie toujours de son charme et de sa réputation d’exigence. L’Air Force aussi est restée relativement populaire, pourtant, bien que très peu de ses aviateurs aient jamais vu l’ennemi en face, ils ont largué sur cette petite nation agricole plus de bombes que sur le Japon et l’Allemagne réunis durant la Seconde Guerre. Mis à part la célèbre photo d’une petite fille brûlée au napalm qui choquera l’opinion mondiale, elle ne fut paradoxalement guère inquiétée par les conséquences terribles de ces bombardements. L’Air Force peut toujours compter sur le glamour qu’exhale son impressionnant matériel phallique et continue d’incarner aux yeux du public le corps assurant la sécurité de la nation grâce à son engagement contre les soviétiques. 
 En 1981, avant même que Clint Eastwood ne sache vraiment que faire de son prochain projet, Firefox, l’arme absolue, l’Air Force se précipite et annonce son désir de collaborer. Le film est passablement idiot mais cette histoire d’avion de chasse russe expérimental volé par un pilote américain interprété par une star internationale reste une occasion rêvée. C’est le retour de la menace soviétique qui doit alerter l’Amérique sur ses terrifiantes avancées technologiques pour que puissent s’y opposer le courage et l’ingéniosité d’un pilote américain, vétéran du Vietnam, qui trouvera là l’occasion de faire la paix avec ses démons. L’année suivante, ils insistent auprès des producteurs de L’Étoffe des héros, une épopée ambitieuse sur l’histoire des pilotes d’essais et de leur conquête du ciel puis de l’espace, pour qu’ils réécrivent une partie des dialogues afin d’en atténuer la vulgarité. Pour les militaires, les bénéfices se jouent en matière de recrutement, il est donc essentiel que le film puisse faire rêver les adolescents. L’Air Force ne peut ainsi tolérer d’être coupée de ce public à cause d’une interdiction aux mineurs pour langage ordurier. La même année, elle déclinera les demandes des auteurs de Wargames, une intrigue considérée comme totalement absurde. Comme vingt ans plus tôt pour Docteur Folamour et Point Limite, ce qui ennuie l’Air Force n’est pas tant le discours pacifiste du film que la faille totalement fantaisiste exploitée pour mettre en avant les dangers du nucléaire. Après les premières réunions, les auteurs se rendent compte que s’ils suivent les remarques des militaires, il ne restera rien du film. C’est donc sans aucune aide que les producteurs vont mener ce projet farfelu à bien, privant l’Air Force de tout levier de manœuvre pour corriger une histoire qui repose sur une description délirante de leurs services.

Wargames
À la même époque, la Navy, qui n’a elle jamais vraiment coupé les ponts avec Hollywood durant les années précédentes, va collaborer avec deux films qui vont s’appliquer à mettre en scène le matériel militaire avec déférence. Le premier, La Guerre des abîmes (J. Jameson, 1980), raconte comment la Navy veut renflouer le Titanic afin de récupérer un minerai précieux censé reposer dans ses cales. À force de réécritures dictées par le Pentagone, le film, qui n’allait de toute façon guère briller par son intrigue, abandonne toute dramaturgie pour n’être plus que le véhicule de la démonstration austère du savoir-faire de la marine et de ses vaisseaux. Plus malin, la même année sort Nimitz, retour vers l’enfer (Don Taylor, 1980), un film d’aventure soutenu par Kirk Douglas tournant autour d’un porte-avions américain qui se retrouve téléporté à Pearl Harbour la veille de l’attaque à cause d’un orage magnétique (et d’un scénario plutôt rigolo). Bien que totalement loufoque, le sérieux avec lequel l’intrigue est gérée permet au spectateur de profiter du bâtiment de guerre sous toutes ses coutures tout en rendant hommage au personnel militaire grâce à une morale nous poussant à ne pas oublier les leçons du passé pour pouvoir nous préparer aux défis du futur. Calibré pour le jeune public, c’est une réussite exemplaire pour Hollywood et pour l’armée qui généralement n’est guère enthousiaste face aux velléités parfois extravagantes de certains producteurs. C’est ce que vont apprendre à leurs dépens les producteurs de Philadelphia Experiment (S. Raffill, 1984). La Navy refuse catégoriquement de participer à un film qui risque, selon eux, d’alimenter les théories du complot et donner corps à une légende urbaine. Cette histoire de porte-avions qui, lors d’une étrange expérience sur l’invisibilité, aurait été téléporté entre Philadelphie et Norfolk rendant fou une partie de l’équipage pendant qu’une autre aurait fusionné avec le bâtiment, est bien trop délicate pour qu’on puisse laisser croire qu’elle pourrait être vraie… Le même genre d’ennuis surréalistes est arrivé lorsque le scénario du quatrième Star Trek a atterri sur leurs bureaux. La Navy exige d’emblée une réécriture de fond en comble au producteur du film, stupéfait d’avoir à réviser sa copie. Cet opus raconte comment Spock et ses compagnons reviennent à notre époque pour capturer deux baleines à bosse et doivent pénétrer en douce dans une base de la Navy afin de chiper de l’énergie atomique pour alimenter les réacteurs de leur vaisseau et être capables de repartir. Les militaires sont catégoriques : il est hors de question qu’ils puissent laisser croire que des gens venus du futur et armés de pistolets « phasers » peuvent s’introduire dans une base de la Navy. Et, puisque si l’on tire sur les « gentils » c’est qu’on est un « méchant », il est donc hors de question que les soldats ouvrent le feu sur l’équipage du vaisseau spatial. Outré par le traitement qu’il subit, le producteur de Star Trek n’a pourtant d’autre choix que d’acquiescer à toutes les exigences et de corriger, sous l’œil intraitable des militaires, son scénario. L’amiral Garrow déclarera ensuite, avec une certaine ironie, avoir été enchanté par cette collaboration menée avec des producteurs aussi coopératifs ! 

Star Trek IV

Mais ça ne se passe pas toujours ainsi. Lorsqu’en 1981 les producteurs d’Officier et Gentleman (T. Hackford, 1982) vont trouver la Navy pour savoir s’ils peuvent utiliser une de leurs bases pour servir de décor à leur film, les militaires sont horrifiés. Le langage y est abominable, les scènes de sexe s’enchaînent aux scènes de sexe et finalement l’un des personnages principaux se suicide. Pour la Navy, c’est « hell no ! » et bien que le producteur ait ensuite déclaré qu’il aurait été prêt à tout lâcher pour pouvoir tourner sur leur base (et économiser des millions de dollars), les négociations s’arrêtent immédiatement. Les Marines entendent parler du projet et décident alors de le soutenir. Devant la production qui se demande si le suicide peut rester dans le film, Pat Coulter, du bureau des relations publiques des Marines, déclare : « Mais bien sûr, quiconque ne peut être un marine a toutes les raisons du monde de se suicider ! » Au final, ils seront très satisfaits de cette histoire où Richard Gere prête sa dégaine de jeune premier à un jeune voyou désabusé qui sera transformé en homme responsable par la brutale rigueur d’un sergent instructeur qui passera d’une figure autoritaire à une figure paternelle, yeux mouillés et tapes dans le dos compris. Les Marines, dont l’image publique est déplorable, sont prêts à tout pour s’offrir une réhabilitation aux yeux des jeunes Américains. Ils veulent désespérément faire oublier les images de soldat hilare tenant à bout de bras une tête décapitée de Viêt-Cong. Alors, déterminés, en 1980 ils vont collaborer sans grand enthousiasme à la série TV Rumor of War. C’est la première fois que le public américain découvre la guerre ainsi recréée et si les Marines n’aiment guère le discours pacifiste du show, leur collaboration va néanmoins permettre de minorer les points les plus fâcheux et ils bénéficieront d’un succès populaire qui va remettre le corps en vedette, sans pour autant focaliser sur les horreurs qu’il a commises… 

La même problématique plombe l’Armée de Terre. L’image qu’elle véhicule est tout aussi abominable et de son côté Hollywood n’a que peu d’intérêt pour ce corps qui, pour impressionner les spectateurs, ne peut compter ni sur le statut de soldats d’élite qu’ont les Marines, ni sur le matériel sexy que possèdent les marins ou les aviateurs. De plus, depuis la guerre du Vietnam, la fin de la conscription va rendre le recrutement de volontaires essentiel et va pousser les pontes de l’Army à revoir leurs positions et à assouplir leur intransigeance. Un premier salut va venir de Samuel Fuller. Depuis 30 ans, il souhaite réaliser un film sur son expérience de soldat pendant la Seconde Guerre mondiale. Le résultat, Au-delà de la gloire, sort en 1980. C’est un film réalisé pour rendre hommage au célèbre 1er d’Infanterie (le Big Red One du titre original) qu’on suivra dans une fresque couvrant l’Afrique du Nord, la Sicile, la Normandie jusqu’à la libération des camps en Tchécoslovaquie. Parce qu’il se tourne entièrement en Europe, avec du matériel déniché sur place, le film se fait de manière autonome et bien qu’il soit hors de question pour Fuller de réaliser une publicité pour les relations publiques de l’Army, Au-delà de la gloire réhabilite le film de guerre et la figure du soldat héroïque en remettant l’armée américaine dans une configuration idéale : celle d’une guerre juste contre un ennemi dont la nature est indiscutablement maléfique. La même année, elle refuse d’aider la comédie La Bidasse (H. Zieff, 1980) avec Goldie Hawn, jugée idiote et fantaisiste (et sera même embarrassée de se retrouver de manière surprenante dans les crédits du film), mais va participer au film Les Bleus (I. Reitman, 1981) avec Bill Murray, une autre galéjade globalement aussi stupide bien qu’elle ait été écrite et réalisée par la future équipe de SOS Fantômes. Dans un premier temps, les producteurs sont éconduits et on leur demande pourquoi ils changeraient leur script alors qu’ils peuvent louer dans le privé tout ce dont ils ont besoin. L’équipe du film fait alors du zèle sur ses ambitions en affirmant vouloir réaliser une comédie véritablement patriotique et rassure les militaires sur son souhait de faire une œuvre à même de favoriser le recrutement. Un tel empressement, et la capacité du scénariste à accepter sans vergogne toutes les modifications, vont lui ouvrir les portes des bases et lui offrir tout le matériel nécessaire. L’armée sait qu’elle ne peut espérer que le film soit à la hauteur des promesses des producteurs et Les Bleus a beau dérouler un esprit largement sarcastique, le fait même de présenter la vie de caserne comme une aventure amusante où règne un esprit de camaraderie vivifiant est déjà, pour eux, largement positif. Pour l’instant, ils évitent le pire, la multiplication de récits effroyables où des soldats psychopathes violent et massacrent des villageois innocents. De la même manière, le film Taps (H. Becker, 1981) a beau être assez sévère avec l’Army, cette dernière se satisfait d’un film mettant simplement en scène le courage et le professionnalisme de ses hommes, même s’il relate un incident fâcheux.

Au delà de la gloire
 Pendant ce temps-là, au-delà des préoccupations des différents corps d’armée, un autre cinéma a commencé à s’engager clairement dans le processus de guérison de la mémoire et de l’identité stratégique américaine. Ces films vont s’appliquer à créer une réalité virtuelle qui servira de socle à la reconstruction reaganienne. Durant la décennie, bien plus que le cinéma de guerre, c’est le cinéma d’action qui va incarner la grande réconciliation entre Hollywood et l’appareil stratégique américain. La frontière entre la réalité et le fantasme commence à se brouiller dans un monde où l’URSS est désignée comme étant « L’Empire du Mal » et où le président cite Retour vers le Futur, Rambo ou La Guerre des étoiles pour illustrer sa politique étrangère. Afin de justifier des budgets militaires exubérants, il faut afficher une menace symétrique que les politiques, et Hollywood, vont commencer à littéralement scénariser. Reagan se met à évoquer des alliances multinationales diaboliques où se croisent Castro, Kadhafi, Arafat et les soviétiques. C’est un récit qui les réunit ensemble autour d’une grande table ronde, tels les responsables du SPECTRE (l’organisation criminelle dans les James Bond), où ils discourent pour trouver les moyens de détruire l’Amérique. C’est la théorie du complot mondial où les USA se retrouvent encerclés par une hostilité internationale. Convoquant à nouveau les grands mythes américains (la « Destinée manifeste » et la « Cité sur la colline »), le discours reaganien s’empresse de faire de la défense de l’Amérique une mission divine.

Sans Retour
 Dans ce contexte de renaissance patriotique, le Vietnam va progressivement redevenir un sujet possible pour Hollywood. Au début des années 80, l’armée ne voit pas vraiment comment elle pourrait bénéficier de films qui reviendraient sur cette épopée désastreuse. Deux vagues de films vont alors anticiper le traitement frontal du sujet pour lequel Hollywood ne va pas tarder à se passionner. Tout d’abord, l’allégorie. C’est ce qui va permettre à Walter Hill de traiter du Vietnam de manière détournée avec Sans retour en 1981. Alors qu’elle patrouille dans le bayou sans savoir pourquoi, une troupe de la garde nationale se retrouve à affronter des cajuns. Cela aurait été sans doute trop compliqué à l’époque de troquer les marais de la Louisiane pour les rizières de l’Asie du Sud-Est mais, au final, le discours reste le même, « l’ennemi, c’est nous ». De manière étonnante, cet angle d’analyse va devenir un véritable leitmotiv et remplacera les questions peut-être trop gênantes sur les raisons de l’engagement. La même année, Don’t cry, it’s only thunder (P. Werner, 1982) est le premier film de combat situé au Vietnam à recevoir une aide du Pentagone et de l’Army depuis les Bérets verts de John Wayne en 1968. Effectivement, l’édifiante histoire d’un soldat construisant des orphelinats semble avoir été écrite pour plaire aux relations publiques de l’armée. L’Air Force avait rechigné devant ce film plein d’espoir montrant comment un Américain s’était retrouvé à non pas tuer mais aider des Vietnamiens car elle détestait la façon dont les soldats étaient présentés comme presque unilatéralement corrompus. Finalement, moins bégueule, l’Army récupéra et valida le projet. Dans ce genre de cas, comme pour Officier et Gentleman, les scénaristes s’occupent de changer le script, les uniformes et les dialogues pour faire passer leurs personnages d’un corps d’armée à l’autre. L’année d’après, le film d’action Rambo (T. Kotcheff, 1982) va entreprendre la réhabilitation du soldat américain en l’incarnant dans la peau d’un parfait héros reaganien. Après avoir combattu pour l’Amérique, été trahi par les politiciens et avoir été méprisé par les pacifistes, le personnage découvre qu’aujourd’hui, il est en guerre avec la mauvaise conscience du pays… Le film repose sur ce trouble identitaire qui interroge la nation entière et fait de Rambo une victime et un martyr. Peu après sort le très sérieux La Déchirure (R. Joffé, 1984), un film bouleversant racontant l’histoire vraie d’un journaliste de guerre et de son ami cambodgien qui, abandonné sur place, subira une terrible répression. En montrant les horreurs perpétrées par les communistes, et bien qu’il soit aux antipodes du cinéma reaganien et de ses outrances ultra patriotiques, le film est paradoxalement l’un de ceux qui défendra le mieux les raisons de l’intervention américaine. Alors que le film comporte des images qui pourraient fâcher, comme celles s’inspirant du bombardement d’un village « ami » par des B-52 américains, Roland Joffé a pu bénéficier de l’aide du Pentagone, montrant qu’à cette époque pourtant résolument agressive et revancharde, l’armée américaine commence à accepter la réalité de l’incident et ses conséquences : le bombardement intensif des campagnes a poussé la population à la radicalisation…
En parallèle de cette approche relativement modérée du sujet, des films réalisés hors collaboration vont revenir sur ce thème en exploitant exclusivement le même angle : celui du prisonnier de guerre. La métaphore est grossière et évidente : L’Amérique a laissé là-bas une part d’elle-même et il s’agit d’y retourner pour corriger les erreurs causées par le manque de courage politique et par la trahison antipatriotique d’une partie du peuple. Car l’injustice de la défaite qu’exhale l’intervention américaine est une épine dans le flanc du pays, jusque-là bercé par son mythe de la Destinée manifeste. Si cette guerre se révèle injuste, les USA perdent alors leur dimension messianique pour devenir une simple superpuissance. Il est donc indispensable de rectifier le tir et d’expier cette décadence qui a rendu possible cet échec. Le premier film à retourner chercher ses prisonniers et à relancer les hostilités est le sympathiquement douteux Retour vers l’enfer (T. Kotcheff, 1983). En 1984 et 1985 les deux Portés Disparus et Rambo 2 reprendront exactement le même argument, la même trame et les mêmes ficelles pour dénoncer les hommes politiques comme étant les véritables responsables de la défaite et les présentent comme méprisables, corrompus et surtout dévirilisés. Aussi racistes que simplistes, ces films laissent de côté les erreurs stratégiques et la réalité géopolitique pour un discours populiste : aliéné par la décadence de la société civile et seul contre tous, le héros reaganien va finalement devoir revenir faire ce qu’il fallait pour gagner. 

1985, alors que Reagan entame triomphalement son second mandat, le monde arabe se déchire. La guerre entre l’Iran et l’Irak fait rage, allumant un brasier qui ravagera la région pour des années. L’Amérique a beau soutenir officiellement l’Irak, elle vend des armes en douce à l’Iran pour financer les Contras fascistes d’Amérique Centrale. Car la politique internationale visant à diaboliser l’URSS s’accompagne d’un harcèlement global. La course aux armements (avec le délirant projet de défense satellitaire Star Wars) cherche à contraindre l’URSS à négocier et finira par pousser le pays à la banqueroute mais, en attendant que le géant soviétique se disloque, l’Amérique finance la guérilla pakistanaise contre la présence soviétique en Afghanistan, soutient l’Afrique du Sud dans sa lutte contre l’Angola et le Mozambique aux velléités communistes et finance donc les juntes militaires du Salvador et du Guatemala.
Dans cette ambiance belliciste, la rage anticommuniste qui saisit le pays se cristallise dans des films qui mettent en garde l’Amérique comme L’Aube rouge (J. Milius, 1984) ou Rocky 4 (S. Stallone, 1986). Dans le premier, l’arrivée de Mitterrand en France (eh oui !) et des écolos en Allemagne annoncent rien de moins que la fin du monde libre et permettent l’invasion du territoire américain par des troupes étrangères. Dans le quatrième Rocky, Apollo Creed, l’ancien adversaire de Rocky, nage dans le luxe et l’arrogance. Il accepte de relever le combat face au boxeur russe Ivan Drago qui le tue sur le ring. La destruction est imminente si l’Amérique reproduit la même erreur et manque de vigilance. Heureusement, Rocky ira au cœur de l’URSS mettre le boxeur à terre afin d’imposer sa pax americana. Dans la continuité de L’Aube rouge, des communistes latino-américains menés par un général soviétique attaquent Chuck Norris et l’Amérique dans Invasion USA (1985, J. Zito) puis ce sont des terroristes libanais que Norris met hors d’état de nuire dans Mission en enfer (1986, M. Golan). Aigle de fer (1986, S. J. Furie) revient lui sur les anicroches que connurent la Libye et les USA et de nouveau des terroristes arabes sont mis en déroute dans Riposte immédiate (1987, T. Leonard). Le Scorpion rouge (1988. J. Zito) retourne sa veste pour lutter contre les communistes en Afrique du Sud et au même moment la CIA et le KGB s’affrontent en Méditerranée pour l’Arme absolue (1988 E. Karson)… À chaque fois, le même refrain : « L’Amérique n’était pas prête, lui si ». En 1988, d’une manière bien plus sérieuse, La Bête de guerre va narrer l’histoire d’un tankiste soviétique qui, en Afghanistan, va se mutiner et finalement aider ceux qu’il était censé combattre. Dans le même contexte géographique, c’est ce spectacle du système soviétique en pleine déliquescence que reprend de manière légèrement outrée Sylvester Stallone avec son troisième Rambo. Sans aucun rapport avec la réalité de l’époque, Stallone réactive la menace soviétique pour rendre légitime toute idée d’expansion politique et militaire menée sous la bannière étoilée. Le film rappelle que c’est grâce aux USA que les soviétiques ont été chassés du pays, tout en répétant que la force de frappe communiste ne peut rien face à la débrouillardise et au courage américain.

Le Maitre de Guerre
 Mais, au milieu de ces fantaisies, deux films vont surfer sur toute cette folie anticommuniste et bénéficier d’un soutien total de l’armée. Le premier, c’est le vociférant Maître de guerre (C. Eastwood, 1986) et, dans un premier temps, la collaboration entre le célèbre réalisateur et la Navy fait long feu. Mais les militaires sont consternés par l’hallucinante vulgarité du film alors le script va échouer, une fois de plus, dans les bras des Marines. Après d’âpres négociations le film se fait et reste un exemple assez éloquent des difficultés que l’armée continue d’avoir pour se voir telle qu’elle est, et non pas telle qu’elle se rêve.
Le second film, Top Gun (T. Scott, 1986), va être un succès phénoménal. Le producteur Jerry Bruckheimer a l’idée de faire un film sur cette école de pilote d’élite dès 1983. Il va d’abord voir le Pentagone et rencontre le personnel de la Navy qui est très enthousiaste et souhaite ne pas réitérer le fiasco d’Officier et Gentleman qui avait été rejeté et qui, après être passé entre les mains des Marines, avait fait un carton au box-office. Ici, l’entente est immédiate et la Navy adore le personnage joué par Tom Cruise qui est un as du pilotage et va apprendre à dominer ses instincts de rebelle pour intégrer le groupe. Et, bien que tout le monde soit très heureux d’avoir pu faire un film autour d’un jeune n’éprouvant aucune honte à être militaire, les auteurs assurent qu’ils n’ont pas voulu faire un film politique. Ils reconnaissent qu’il s’agit là d’un sujet délicat, pour Bruckheimer « l’armée ne sera plus jamais un sujet tranquille pour Hollywood car le Vietnam a tout foutu en l’air. » Ceci dit, faire un divertissement occultant toute dimension politique est, en soi, un choix politique. De plus, à partir du moment où Maverick doit laver l’honneur de son père mort au Vietnam, un certain goût de revanche plane tout de même sur Top Gun. À sa sortie, la volonté de vouloir refaire La Guerre des étoiles avec des avions de chasse se révèle payante, le film remporte l’adhésion du public et rend au soldat américain tout son pouvoir de séduction. Top Gun est l’aboutissement flamboyant d’une collaboration débutée soixante ans plus tôt avec Wings (W. Wellman, 1927 – voir AAARG! Mensuel #02). Et, bien que les producteurs aient publiquement assuré n’avoir pas voulu réaliser une publicité pour le recrutement de la Navy, le film est comme un rêve humide pour les militaires. Non seulement la production signe un chèque d’un peu plus d’un million de dollars à la marine américaine mais celle-ci en profite pour installer à la sortie des salles de cinéma des bureaux de recrutement, saisissant au vol les spectateurs qui sortent, la tête encore dans les nuages, pour leur faire signer un engagement. Dans le sillage du film, CBS en profite pour produire une série documentaire sur les pilotes de chasse, une nouvelle aubaine car jamais la Navy n’aurait pu s’offrir une telle couverture publicitaire. Le service de coordination du recrutement pour la Côte Ouest déclare alors que « le sentiment que nous avons ici au recrutement est que le film a considérablement augmenté le nombre d’inscriptions. C’est dur de mettre un chiffre sur ce que Top Gun a fait pour la Navy, mais c’est sûr que ça nous a aidés ». Dans certains articles, le chiffre d’une augmentation de 500 % est annoncé et dans les colonnes du LA Times, le lieutenant Marlowe explique que dans les mois qui suivirent la sortie, 90 % des nouvelles recrues déclaraient avoir vu le film. Lorsque Top Gun sort en VHS, la Paramount offre de placer avant le film une publicité pour la Navy contre la somme d’un million de dollars (afin de récupérer ce qui avait été payé aux militaires) mais le Pentagone rejette l’offre en expliquant que « le film est déjà un outil de recrutement merveilleux, ajouter une publicité avant ce qui est déjà une publicité de deux heures nous semble redondant ». Le recrutement n’est pas le seul but poursuivi par les militaires, ils souhaitent également pouvoir bénéficier de véhicules rutilants qui peuvent montrer au Congrès et aux contribuables américains que leur argent est au service d’un appareil militaire performant. Il s’agit ainsi de rassurer l’Amérique dont le sentiment d’invincibilité avait été ridiculisé par la résistance d’une poignée de paysans. Commencée dix ans plus tôt avec La Bataille de Midway (J. Smight, 1976), Top Gun achève ainsi la réhabilitation des capacités militaires de l’Amérique et remet à la mode l’idée d’une armée aussi cool qu’invulnérable. Phil Strub (qui remplacera en 1990 Don Baruch, l’historique homme de liaison entre le Pentagone et Hollywood) déclare dans le documentaire Opération Hollywood que Top Gun « réhabilitait l’armée en la rendant de nouveau respectable et digne d’intérêt en démontrant qu’on pouvait produire un film qui la présentait d’une manière positive et gagner beaucoup d’argent sans pour autant devenir un paria à Hollywood ».

Top Gun
 Le retour dans les vertes vallées vietnamiennes est entériné par Platoon (O. Stone, 1986). C’est un choc, et un succès énorme. Dès le début, l’Army et Stone ne se sont pas entendus et ce dernier s’en va réaliser son film aux Philippines de manière autonome. Devant la position offusquée des militaires, Stone s’emporte. Pour lui, « ils sont incapables de pouvoir avoir un jugement, ce ne sont que des bureaucrates ! » De leur côté, ces derniers rejettent l’histoire en bloc, « l’armée a ici émis une objection, explique Phil Strub, car le film donnait l’impression que chaque unité de combat agissait de la sorte, chaque soldat, lors de chaque mission. Et qu’à chaque fois, les commandants se battaient, qu’ils brûlaient des villages et violaient les femmes. On pense vraiment que la guerre du Vietnam, ce n’était que ça. Et franchement, je pense que les gens ont cette vision à cause de Platoon » L’idée qu’un soldat américain s’en prenne à un autre soldat américain énerve Strub qui nie que de tels actes aient pu avoir lieu, mais il semble oublier un peu vite que plus de 200 officiers jugés trop téméraires par leurs hommes ont été tués à coups de grenade (ce qu’on appelle le fragging) et 1 400 attentats de la sorte ont été répertoriés. Un chiffre bien au-delà de l’événement exceptionnel. Mais ce n’est pas parce que Platoon a révulsé les militaires qu’il en est pour autant subversif. En reprenant grossièrement l’idée qu’au Vietnam l’Amérique s’est battue contre elle-même, Stone semble rappeler que la lutte contre le communisme doit rester éthique, sinon on se transforme en monstre et on se dévore soi-même. Peu de place pour les Vietnamiens dans cette réflexion et, comme le rappelle J.M. Valantin,  « ce qu’il advient des sociétés qui sont le théâtre des conflits politiques et éthiques propres au système stratégique américain n’est qu’entraperçu ». Le film, en tout cas, participe à la fabrication d’une image des affrontements indirects de la guerre froide comme autant de guerres justes. C’est, toujours selon Valantin, une histoire virtuelle qui entre en concurrence avec la mémoire stratégique traumatisée, afin de commencer à la guérir et entamer un processus d’identification avec son appareil de sécurité nationale. Mais, profitant de décors impressionnants, jouissant d’une photo somptueuse et soutenu par un casting solide, Platoon retrouve, à certains moments, les fulgurances des plus grands films de guerre américains. Malheureusement, la grossièreté de l’intrigue finit par rendre caduques les observations de Stone et emmène le film sur les consternantes rives des actioners reaganiens. L’argument de vérité porté par le passé de soldat de Stone ne résiste guère à une analyse sérieuse du film et son conseiller technique, l’ex marine Dale Dye, le reconnaît : Platoon est peut-être une bonne représentation de la vie dans une petite unité de combat, mais ne représente en rien ce que fut l’engagement américain. Ainsi, Platoon reste essentiellement un fantasme où l’on se demande si la guerre n’a pas été perdue car l’Amérique manquait de soldats comme Stone, des gens sérieux, qui écrivent à leur grand-mère, ont une conscience mais peuvent être des guerriers redoutables et héroïques. Le film ne plaît pas aux républicains et, parmi eux, Chuck Norris s’insurge : « Si j'étais un vétéran du Vietnam qui avait risqué sa vie là-bas, et que je voyais ces scènes où des GIs tourmentent des villageois ou violent des jeunes filles, je serais furieux. » Ça ne changera rien, le film va faire un carton et remporter quatre Oscars. Pour Hollywood, c’est comme un appel à la soupe. Les années qui vont suivre vont plonger toutes les salles d’Amérique (et du monde) dans l’enfer vert. 

Platoon
 L’année suivante arrive en salles un projet qui couvait depuis des années : The Hanoi Hilton (L. Chetwynd, 1987). Produit par la Cannon, habituée aux reaganeries musclées, le film rend hommage aux prisonniers de guerre qu’il traite en héros et traîne dans la boue les pacifistes comme Jane Fonda en les faisant passer, au mieux pour des abrutis, au pire pour des traîtres. Pour le réalisateur, « les films de Stallone et de Norris étaient si à droite dans leur simplicité cartoonesque qu’un film comme le mien devenait tout à fait envisageable ». Le Pentagone adore l’idée et le film va se faire avec peu de moyens et encore moins de talent. Pénible et caricatural, The Hanoi Hilton disparaît rapidement, oublié de tous. 1987, Stanley Kubrick met son grain de sel et livre sa propre version du Vietnam avec Full Metal Jacket, dont le radicalisme l’exclut de toute collaboration avec le Pentagone. Le film est en deux parties, la première reprend la figure classique de l’entraînement des recrues, des scènes que l’on a déjà vues à l’identique dans Les Boys de la Company C (S.F. Furie, 1978) avec déjà Lee Ermey dans le rôle du sergent instructeur, ainsi que dans de nombreux autres films comme The D.I., Le Cri de la victoire, La Brigade du diable, Les Bleus, Officier et Gentleman La formation à Parris Island vire au film d’horreur comme la maison hantée de Shining glissait vers le labyrinthe mental puis, projetée au Vietnam, l’intrigue devient une fable sur l’Humanité en guerre, mais sans avoir vraiment de liens avec la réalité du conflit. Kubrick n’est pas allé aux Philippines pour retrouver une certaine vérité, il va créer son propre Vietnam, de toutes pièces, dans les alentours de Londres.
Toujours la même année, sort le désespérant Hamburger Hill (J. Irvin, 1987). Le scénariste James Carabatsos regrette que Stone et Kubrick aient utilisé les soldats pour servir leurs idées politiques, leur arrachant leur identité pour en faire de vulgaires métaphores. Son ambition est de se confronter à une bataille réelle et de l’utiliser pour montrer de manière honnête et réaliste qui furent ces hommes et quel fut leur calvaire. Cependant, malgré les ambitions d’Irvin, le choix d’une bataille aussi controversée est en soi une déclaration politique. Le film a beau déboucher sur une fin mélancolique, ne représenter ni rite de passage ni accomplissement militaire, il revient, lui aussi, sur la même idée qu’au Vietnam, l’Amérique se battait contre elle-même. Assez proche de Platoon dans le ton, mais graphiquement beaucoup plus violent, Hamburger Hill reçoit pourtant le soutien total de l’Army. Il a cependant fallu que le réalisateur laisse tomber son idée de terminer le film en montrant un carton planté contre un arbre sur lequel est écrit (anecdote réelle) : « Hamburger Hill, cela en valait-il la peine ? ». À la place, le film s’achève sur un plus consensuel « Bienvenue à Hamburger Hill ». L’approche moins baroque d’Irvin et son scénariste a permis de trouver un terrain d’entente avec Pentagone, mais l’armée n’est pas dupe et sait qu’aucun film montrant les combats ne pourra jamais leur être bénéfique. Au final, bien qu’Hamburger Hill n’ait pas un casting à la hauteur du film de Stone, il n’a rien à lui envier en matière de photo ou de reconstitution mais, même si le film est un succès, il restera tristement toujours un peu dans l’ombre de ceux de Stone et Kubrick. Good Morning, Vietnam (B. Levinson, 1987) vient ajouter une nouvelle pierre au genre, mais déjà, le Vietnam semble loin. Interprétation comique et romancée du DJ Adrian Cronauer, le film est un véhicule luxueux mis au service des seuls talents d’improvisation de Robin Williams. Il n’arrivera jamais à reconstituer de manière intéressante le Saigon de 1965 et l’ambiance lors de l’escalade du conflit, probablement parce que le film qui existe autour de Robin Williams est très lamentablement écrit. En 1988, avec Outrages, c’est alors à Brian De Palma d’expliquer à son tour qu’au Vietnam les Américains se battaient les uns contre les autres. Réalisé hors de toute collaboration militaire, le film scandalise le Pentagone. Pour eux, en focalisant sur une histoire (vraie) de viol, le film laisserait penser qu’il s’agissait là d’une norme. Très politique, le film met en parallèle le dilemme qui assaille Eriksson et celui qui frappa une partie de la nation : fallait-il dénoncer l’horreur au risque de multiplier les fronts en s’en prenant à ses compatriotes ? Le film de De Palma apporte une réponse, mais cette dernière est d’un cynisme qui semble issu de la décennie précédente. Le mouchard vivra dans la peur de représailles jusqu’à la fin de ses jours, les assassins seront libérés et la jeune fille vietnamienne, elle, est de toute façon déjà morte. En faisant des exactions et des viols le symbole des blessures qu’a infligées l’Amérique à ce petit pays, ce genre de films s’oppose à ceux qui cherchent à réécrire l’histoire.

En 1989, Oliver Stone revient sur le sujet avec Né un 4 juillet, l’un des derniers films de ce cycle. C’est ici la dramatique histoire vraie d’un vétéran qui revient au pays handicapé et traumatisé. Le film est en préproduction depuis le début des années 80 et lorsqu’il avait failli se faire à l’époque, les Marines avaient été plutôt séduits par cette histoire. Car même si Kovic revenait particulièrement amer et critique de son séjour à la guerre, les militaires voyaient tout ça avec un certain pragmatisme. Leur point de vue était très simple, pour eux, c’était grâce à son entraînement chez les Marines que Kovic avait survécu et avait, in fine, trouvé le courage pour affronter son handicap. Et si les auteurs pouvaient transformer la haine de Kovic en dégoût pour son pays, mais pas pour le corps des Marines, une collaboration à l’époque était tout à fait envisageable. Le film qui sort en 1989 a cependant été fait de manière autonome et, encore une fois, se pose la question des licences poétiques utilisées par Stone. En effet, le film semble délaisser son sujet pour traiter des obsessions du réalisateur. Parce que Ron Kovic représente une Amérique brisée, un Américain qui ne reconnaît plus son pays lorsqu’il revient et qui se retrouve dans l’impossibilité de pouvoir reprendre sa place, Né un 4 juillet incarne peut-être l’un des films les plus célèbres de cet autre cycle sur le Vietnam et traitant spécifiquement du traumatisme de la société civile. Des films comme Gardens of stone (F.F. Coppola, 1987) qui traite la question des rituels du deuil et, tout en critiquant l’idée de guerre, célèbre pompeusement le geste militaire et l’honneur de ses soldats. Ironiquement, Coppola est allé piteusement quémander auprès du Pentagone et de l’Army une aide précieuse quelques années après avoir calamiteusement tenté de négocier une coopération pour Apocalypse Now. En 1988, The Presidio (P. Hyams, 1988) devait être un polar assez finaud sur la corruption que l’armée a ramenée d’Asie. Mais, pour pouvoir tourner sur la base du Presidio à San Francisco, le script est à ce point essoré qu’il n’y reste pas grand-chose une fois projeté sur l’écran. Vidé de son sens, rendu absurde par des changements d’intrigues aberrants, The Presidio n’a plus rien à proposer à part une belle photo et la performance toujours impeccable de Sean Connery qui n’hésite pas à prendre son air le plus concerné pour réciter le laïus patriotique et promilitariste de rigueur : « Je pense que l'Amérique est une grande demeure de luxe. Et nous les Dobermans. Le proprio entend du bruit en bas. Il est bien content d'avoir cet affreux gros chien, non ? Mais... le lendemain, il reçoit ses amis et enferme le chien. Pourquoi ? Parce qu'il a un peu honte. Cette même nuit, il lâchera son chien pour se protéger. Si un intrus s'amène et que le chien lui mord pas le cul, son maître prendra un journal et lui tapera dessus. C'est comme ça. » Un commentaire cynique tournant la page des questions qu’on pouvait poser à l’armée américaine suite à son comportement au Vietnam.
1989, l’écroulement de l’URSS et l’arrivée de la nouvelle administration Bush annoncent les années 90. Pour cette décennie qui arrive, la disparition de l’ogre soviétique va laisser place à de nouveaux ennemis, réels ou fantasmés, qui seront au cœur du cinéma mettant en scène la sécurité des USA. Une nouvelle époque, de nouvelles menaces et de nouvelles modalités dans la fabrication de ces films. Ayant retrouvé toute sa puissance médiatique, l’armée américaine s’apprête à affronter un nouveau diable, Saddam Hussein. En 1990, ce dernier met alors en garde les États-Unis : « Les Américains sont toujours influencés par les films de Rambo, mais ça ne sera pas un film de Rambo, ça sera tout à fait différent. Nous ne sous-estimons pas la puissance militaire américaine, mais nous méprisons leurs intentions diaboliques. »
 (à suivre ?)

2 commentaires:

  1. Vaste sujet en effet.....
    "La Défense, avec ses 600 milliards de dollars (environ 545 milliards d'euros) représente environ la moitié des dépenses du budget de fonctionnement de l'Etat fédéral"
    Pour rentabiliser cela tout les moyens sont bons pour la propagande....

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