« Dans
la vie politique américaine, il y a peu de routes aussi fréquentées que celle
qui mène de Washington à Hollywood, de la capitale du pouvoir à celle du
glamour » écrit le journaliste Ronald Brownstein en 1992. Depuis des
années, ces connexions sont étudiées, mises à jour, et de nombreux journalistes
se sont interrogés sur les liens qui unissent le pouvoir militaire à l’usine à
rêve. Entre censure et propagande, l’influence du Pentagone sur une partie du
cinéma américain est un secret de polichinelle… Des œuvres qui vont
naturellement dans le sens de l’armée à celles qui tentent de la remettre en
question, entre compromis et négociations, Hollywood semble avoir cédé
énormément aux idéologues de Washington au nom du profit et de l’efficacité.
AAARG! revient sur la liaison contre nature qui unit le cinéma et l’armée,
leurs motivations ainsi que les conséquences de tels rapports.
De Hollywood à
Washington
L’AMÉRIQUE DE RETOUR
1980 - 1990
Les années 80 sont celles de ce qu’on a appelé
le « cinéma reaganien ». Ce cinéma de gros bras surarmés, toujours
prêts à botter des culs, est au centre de toutes les analyses du cinéma
d’action de la décennie. Cultivant par une éloquence bravache incomparable sa
proximité avec ces nouveaux héros américains, Ronald Reagan assure par sa
présence la mise au rencard des années de doute, de dépression et de paranoïa
que furent les seventies. L’Amérique s’affirme à nouveau dans l’offensive, les
Faucons sont de retour à la Maison Blanche et le slogan « America is back » s’appuie sur une
remise en scène de la guerre froide et un retour à une politique agressive vis-à-vis
de l’URSS. Le cinéma va accompagner cette réminiscence presque nostalgique d’une
époque binaire où le sort de la planète dépendait de l’issue d’une partie que
se jouaient les bons et les méchants. Les soviétiques reviennent en
force sur les écrans et la menace qui pèse sur le pays va devenir protéiforme
et se décliner à l’infini. Agents soviétiques, aliens chasseurs d’humains,
terroristes allemands ou libyens, soldats cubains, boxeurs dopés ou cyborgs
venant du futur, tous rappellent le péril qui pèse sur la nation américaine. Michael
Winner (réalisateur d’Un Justicier
dans la ville avec Bronson)
rappelle l’ambiance de l’époque : « Les Américains ont combattu le communisme pour la première
fois pendant la guerre du Vietnam mais les studios penchaient alors du côté de
la culpabilité. Puis est arrivé Reagan qui allait ressortir de ses bagages le
sentiment de patriotisme et de fierté. C’est lui qui a permis au cinéma
antimarxiste de s’exprimer ! » Le plus souvent, le cinéma
reaganien est l’histoire d’un homme qui se dresse contre beaucoup d’autres. Pourtant
ces récits héroïques où l’on célèbre l’individualisme dans une orgie de rafales
et d’explosions sont cependant très éloignés des préoccupations bien plus
pragmatiques des différents corps d’armée. Parce qu’il existe une autre
bataille qui s’est déroulée en parallèle du cinéma reaganien, celle de la
représentation de forces armées à l’image entachée par une guerre impopulaire
et à l’aube de la nouvelle décennie, l’armée, toujours comptable de nombreux
scandales, est plus que jamais un sujet de dissension nationale.
Le premier mandat de Reagan (1981/1985) va
être le témoin du réajustement tactique de l’armée face à Hollywood. Les
militaires vont devoir réviser leurs exigences. Traiter le milieu du cinéma
avec un dédain certain est devenu contreproductif, les grands films de la fin
des années 70 comme Apocalypse Now ou Voyage au bout de l’Enfer ayant
montré que les réalisateurs pouvaient se passer de toute collaboration. Les
tournages en Europe ou en Asie escamotent des mains le contrôle qu’exerçait
traditionnellement le Pentagone sur les films mettant en scène l’armée des
USA. Le second mandat (1985/1989) restera lui comme le témoin de la
dernière grande vague de films sur le Vietnam exprimant, avec ou sans le
consentement de l’armée, une véritable expiation. Ce sera également l’époque
où, tout autour de ce cycle vietnamien, s’articulera une nouvelle agressivité
paranoïaque dans laquelle l’URSS sera rejointe par une flopée de nouvelles
menaces plus ou moins fantaisistes. Ce que le stratège J.M. Valantin appelle « le
cinéma de sécurité nationale » (c’est-à-dire le cinéma qui met en scène la
nation en danger) va s’émanciper du film de guerre traditionnel et arpenter les
thèmes et figures du thriller, du film d’action et du cinéma fantastique.
Les différents corps d’armée ne sont pas
sortis de la guerre du Vietnam (1955/1975) de la même manière et ce sont l’Army
et les Marines qui ont le plus souffert. Entre la terrible image de GIs
pataugeant dans la boue et mis en pièces par un ennemi invisible et celle des atrocités
de My Lai, les troupes au sol jouissent d’une réputation exécrable. En
comparaison, la Navy, qui est restée à la périphérie du conflit, bénéficie
toujours de son charme et de sa réputation d’exigence. L’Air Force aussi est
restée relativement populaire, pourtant, bien que très peu de ses aviateurs
aient jamais vu l’ennemi en face, ils ont largué sur cette petite nation
agricole plus de bombes que sur le Japon et l’Allemagne réunis durant la Seconde
Guerre. Mis à part la célèbre photo d’une petite fille brûlée au napalm qui
choquera l’opinion mondiale, elle ne fut paradoxalement guère inquiétée par les
conséquences terribles de ces bombardements. L’Air Force peut toujours compter
sur le glamour qu’exhale son impressionnant matériel phallique et continue
d’incarner aux yeux du public le corps assurant la sécurité de la nation grâce
à son engagement contre les soviétiques.
En 1981, avant même que Clint Eastwood ne
sache vraiment que faire de son prochain projet, Firefox, l’arme absolue,
l’Air Force se précipite et annonce son désir de collaborer. Le film est
passablement idiot mais cette histoire d’avion
de chasse russe expérimental volé par un pilote américain interprété par
une star internationale reste une occasion rêvée. C’est le retour de la menace
soviétique qui doit alerter l’Amérique sur ses terrifiantes avancées technologiques
pour que puissent s’y opposer le courage et l’ingéniosité d’un pilote américain,
vétéran du Vietnam, qui trouvera là l’occasion de faire la paix avec ses
démons. L’année suivante, ils
insistent auprès des producteurs de L’Étoffe
des héros, une épopée ambitieuse sur l’histoire des pilotes d’essais et
de leur conquête du ciel puis de l’espace, pour qu’ils réécrivent une partie
des dialogues afin d’en atténuer la vulgarité. Pour les militaires, les
bénéfices se jouent en matière de recrutement, il est donc essentiel que le
film puisse faire rêver les adolescents. L’Air Force ne peut ainsi tolérer
d’être coupée de ce public à cause d’une interdiction aux mineurs pour langage
ordurier. La même année, elle déclinera les demandes des auteurs de Wargames, une intrigue considérée
comme totalement absurde. Comme vingt ans plus tôt pour Docteur Folamour et Point
Limite, ce qui ennuie l’Air Force n’est pas tant le discours pacifiste
du film que la faille totalement fantaisiste exploitée pour mettre en avant les
dangers du nucléaire. Après les premières réunions, les auteurs se rendent
compte que s’ils suivent les remarques des militaires, il ne restera rien du
film. C’est donc sans aucune aide que les producteurs vont mener ce projet farfelu
à bien, privant l’Air Force de tout levier de manœuvre pour corriger une
histoire qui repose sur une description délirante de leurs services.
À la même époque,
la Navy, qui n’a elle jamais vraiment coupé les ponts avec Hollywood durant les
années précédentes, va collaborer avec deux films qui vont s’appliquer à mettre
en scène le matériel militaire avec déférence. Le premier, La Guerre des abîmes (J. Jameson, 1980), raconte comment la
Navy veut renflouer le Titanic afin de récupérer un minerai précieux censé reposer
dans ses cales. À force de réécritures dictées par le Pentagone, le film, qui
n’allait de toute façon guère briller par son intrigue, abandonne toute
dramaturgie pour n’être plus que le véhicule de la démonstration austère du
savoir-faire de la marine et de ses vaisseaux. Plus malin, la même année sort Nimitz, retour vers l’enfer (Don
Taylor, 1980), un film d’aventure soutenu par Kirk Douglas tournant autour d’un
porte-avions américain qui se retrouve téléporté à Pearl Harbour la veille de
l’attaque à cause d’un orage magnétique (et d’un scénario plutôt rigolo). Bien
que totalement loufoque, le sérieux avec lequel l’intrigue est gérée permet au
spectateur de profiter du bâtiment de guerre sous toutes ses coutures tout en
rendant hommage au personnel militaire grâce à une morale nous poussant à ne
pas oublier les leçons du passé pour pouvoir nous préparer aux défis du futur.
Calibré pour le jeune public, c’est une réussite exemplaire pour Hollywood et
pour l’armée qui généralement n’est guère enthousiaste face aux velléités
parfois extravagantes de certains producteurs. C’est ce que vont apprendre à
leurs dépens les producteurs de Philadelphia
Experiment (S. Raffill, 1984). La Navy refuse catégoriquement de
participer à un film qui risque, selon eux, d’alimenter les théories du complot
et donner corps à une légende urbaine. Cette histoire de porte-avions
qui, lors d’une étrange expérience sur l’invisibilité, aurait
été téléporté entre Philadelphie et Norfolk rendant fou une partie de
l’équipage pendant qu’une autre aurait fusionné avec le bâtiment, est bien trop
délicate pour qu’on puisse laisser croire qu’elle pourrait être vraie… Le même
genre d’ennuis surréalistes est arrivé lorsque le scénario du quatrième Star Trek a atterri sur leurs
bureaux. La Navy exige d’emblée une réécriture de fond en comble au producteur
du film, stupéfait d’avoir à réviser sa copie. Cet opus raconte comment Spock
et ses compagnons reviennent à notre époque pour capturer deux baleines à bosse
et doivent pénétrer en douce dans une base de la Navy afin de chiper de
l’énergie atomique pour alimenter les réacteurs de leur vaisseau et être
capables de repartir. Les militaires sont catégoriques : il est hors de
question qu’ils puissent laisser croire que des gens venus du futur et armés de
pistolets « phasers » peuvent s’introduire dans une
base de la Navy. Et, puisque si l’on tire sur les « gentils » c’est
qu’on est un « méchant », il est donc hors de question que les
soldats ouvrent le feu sur l’équipage du vaisseau spatial. Outré par le
traitement qu’il subit, le producteur de Star
Trek n’a pourtant d’autre choix que d’acquiescer à toutes les exigences
et de corriger, sous l’œil intraitable des militaires, son scénario. L’amiral
Garrow déclarera ensuite, avec une certaine ironie, avoir été enchanté par
cette collaboration menée avec des producteurs aussi coopératifs !
Star Trek IV
Mais ça ne se passe pas toujours ainsi.
Lorsqu’en 1981 les producteurs d’Officier et Gentleman (T. Hackford, 1982) vont trouver la
Navy pour savoir s’ils peuvent utiliser une de leurs bases pour servir de décor
à leur film, les militaires sont horrifiés. Le langage y est abominable, les
scènes de sexe s’enchaînent aux scènes de sexe et finalement l’un des
personnages principaux se suicide. Pour la Navy, c’est « hell no ! » et bien que le
producteur ait ensuite déclaré qu’il aurait été prêt à tout lâcher pour pouvoir
tourner sur leur base (et économiser des millions de dollars), les négociations
s’arrêtent immédiatement. Les Marines entendent parler du projet et décident alors
de le soutenir. Devant la production qui se demande si le suicide peut rester
dans le film, Pat Coulter, du bureau des relations publiques des Marines,
déclare : « Mais bien sûr,
quiconque ne peut être un marine a toutes les raisons du monde de se
suicider ! » Au final, ils seront très satisfaits de cette
histoire où Richard Gere prête sa dégaine de jeune premier à un jeune voyou désabusé
qui sera transformé en homme responsable par la brutale rigueur d’un sergent
instructeur qui passera d’une figure autoritaire à une figure paternelle, yeux
mouillés et tapes dans le dos compris. Les Marines, dont l’image publique est
déplorable, sont prêts à tout pour s’offrir une réhabilitation aux yeux des
jeunes Américains. Ils veulent désespérément faire oublier les images de soldat
hilare tenant à bout de bras une tête décapitée de Viêt-Cong. Alors, déterminés,
en 1980 ils vont collaborer sans grand enthousiasme à la série TV Rumor
of War. C’est la première fois que le public américain découvre la
guerre ainsi recréée et si les Marines n’aiment guère le discours pacifiste du
show, leur collaboration va néanmoins permettre de minorer les points les plus
fâcheux et ils bénéficieront d’un succès populaire qui va remettre le corps en
vedette, sans pour autant focaliser sur les horreurs qu’il a commises…
La même problématique plombe l’Armée de Terre.
L’image qu’elle véhicule est tout aussi abominable et de son côté Hollywood n’a
que peu d’intérêt pour ce corps qui, pour impressionner les spectateurs, ne
peut compter ni sur le statut de soldats d’élite qu’ont les Marines, ni sur le
matériel sexy que possèdent les marins ou les aviateurs. De plus, depuis la
guerre du Vietnam, la fin de la conscription va rendre le recrutement de
volontaires essentiel et va pousser les pontes de l’Army à revoir leurs
positions et à assouplir leur intransigeance. Un premier salut va venir de
Samuel Fuller. Depuis 30 ans, il souhaite réaliser un film sur son expérience de
soldat pendant la Seconde Guerre mondiale. Le résultat, Au-delà de la gloire, sort en 1980. C’est un film réalisé
pour rendre hommage au célèbre 1er d’Infanterie (le Big Red One du titre original) qu’on
suivra dans une fresque couvrant l’Afrique du Nord, la Sicile, la Normandie jusqu’à
la libération des camps en Tchécoslovaquie. Parce qu’il se tourne entièrement
en Europe, avec du matériel déniché sur place, le film se fait de manière
autonome et bien qu’il soit hors de question pour Fuller de réaliser une
publicité pour les relations publiques de l’Army, Au-delà de la gloire
réhabilite le film de guerre et la figure du soldat héroïque en remettant
l’armée américaine dans une configuration idéale : celle d’une guerre
juste contre un ennemi dont la nature est indiscutablement maléfique. La même
année, elle refuse d’aider la comédie La Bidasse (H. Zieff, 1980) avec
Goldie Hawn, jugée idiote et fantaisiste (et sera même embarrassée de se
retrouver de manière surprenante dans les crédits du film), mais va participer au
film Les
Bleus (I. Reitman, 1981) avec Bill Murray, une autre galéjade globalement
aussi stupide bien qu’elle ait été écrite et réalisée par la future équipe de SOS
Fantômes. Dans un premier temps, les producteurs sont éconduits et on
leur demande pourquoi ils changeraient leur script alors qu’ils peuvent louer
dans le privé tout ce dont ils ont besoin. L’équipe du film fait alors du zèle
sur ses ambitions en affirmant vouloir réaliser une comédie véritablement patriotique
et rassure les militaires sur son souhait de faire une œuvre à même de
favoriser le recrutement. Un tel empressement, et la capacité du scénariste à
accepter sans vergogne toutes les modifications, vont lui ouvrir les portes des
bases et lui offrir tout le matériel nécessaire. L’armée sait qu’elle ne peut
espérer que le film soit à la hauteur des promesses des producteurs et Les
Bleus a beau dérouler un esprit largement sarcastique, le fait même de
présenter la vie de caserne comme une aventure amusante où règne un esprit de
camaraderie vivifiant est déjà, pour eux, largement positif. Pour l’instant,
ils évitent le pire, la multiplication de récits effroyables où des soldats
psychopathes violent et massacrent des villageois innocents. De la même
manière, le film Taps (H. Becker, 1981) a beau être assez sévère avec l’Army,
cette dernière se satisfait d’un film mettant simplement en scène le courage et
le professionnalisme de ses hommes, même s’il relate un incident fâcheux.
Au delà de la gloire
Pendant ce temps-là, au-delà des
préoccupations des différents corps d’armée, un autre cinéma a commencé à
s’engager clairement dans le processus de guérison de la mémoire et de
l’identité stratégique américaine. Ces films vont s’appliquer à créer une
réalité virtuelle qui servira de socle à la reconstruction reaganienne. Durant
la décennie, bien plus que le cinéma de guerre, c’est le cinéma d’action qui va
incarner la grande réconciliation entre Hollywood et l’appareil stratégique
américain. La frontière entre la réalité et le fantasme commence à se brouiller
dans un monde où l’URSS est désignée comme étant « L’Empire du Mal » et où le président cite Retour vers le Futur, Rambo
ou La
Guerre des étoiles pour illustrer sa politique étrangère. Afin de justifier
des budgets militaires exubérants, il faut afficher une menace symétrique que
les politiques, et Hollywood, vont commencer à littéralement scénariser. Reagan
se met à évoquer des alliances multinationales diaboliques où se croisent
Castro, Kadhafi, Arafat et les soviétiques. C’est un récit qui les réunit
ensemble autour d’une grande table ronde, tels les responsables du SPECTRE
(l’organisation criminelle dans les James
Bond), où ils discourent pour trouver les moyens de détruire l’Amérique.
C’est la théorie du complot mondial où les USA se retrouvent encerclés par une hostilité
internationale. Convoquant à nouveau les grands mythes américains (la « Destinée
manifeste » et la « Cité sur la colline »), le discours
reaganien s’empresse de faire de la défense de l’Amérique une mission divine.
Sans Retour
Dans ce contexte de renaissance patriotique, le
Vietnam va progressivement redevenir un sujet possible pour Hollywood. Au début
des années 80, l’armée ne voit pas vraiment comment elle pourrait bénéficier de
films qui reviendraient sur cette épopée désastreuse. Deux vagues de films vont
alors anticiper le traitement frontal du sujet pour lequel Hollywood ne va pas
tarder à se passionner. Tout d’abord, l’allégorie. C’est ce qui va permettre à
Walter Hill de traiter du Vietnam de manière détournée avec Sans retour
en 1981. Alors qu’elle patrouille dans le bayou sans savoir pourquoi, une
troupe de la garde nationale se retrouve à affronter des cajuns. Cela aurait
été sans doute trop compliqué à l’époque de troquer les marais de la Louisiane
pour les rizières de l’Asie du Sud-Est mais, au final, le discours reste le
même, « l’ennemi, c’est nous ». De manière étonnante, cet angle d’analyse
va devenir un véritable leitmotiv et remplacera les questions peut-être trop
gênantes sur les raisons de l’engagement. La même année, Don’t cry, it’s only thunder
(P. Werner, 1982) est le premier film de combat situé au Vietnam à recevoir une
aide du Pentagone et de l’Army depuis les Bérets verts de John Wayne en 1968. Effectivement,
l’édifiante histoire d’un soldat construisant des orphelinats semble avoir été
écrite pour plaire aux relations publiques de l’armée. L’Air Force avait
rechigné devant ce film plein d’espoir montrant comment un Américain s’était
retrouvé à non pas tuer mais aider des Vietnamiens car elle détestait la façon
dont les soldats étaient présentés comme presque unilatéralement corrompus. Finalement,
moins bégueule, l’Army récupéra et valida le projet. Dans ce genre de cas, comme
pour Officier
et Gentleman, les scénaristes s’occupent de changer le script, les
uniformes et les dialogues pour faire passer leurs personnages d’un corps d’armée
à l’autre. L’année d’après, le film d’action Rambo (T. Kotcheff, 1982)
va entreprendre la réhabilitation du soldat américain en l’incarnant dans la
peau d’un parfait héros reaganien. Après avoir combattu pour l’Amérique, été
trahi par les politiciens et avoir été méprisé par les pacifistes, le
personnage découvre qu’aujourd’hui, il est en guerre avec la mauvaise
conscience du pays… Le film repose sur ce trouble identitaire qui interroge la
nation entière et fait de Rambo une victime et un martyr. Peu après sort le
très sérieux La Déchirure (R. Joffé, 1984), un film bouleversant racontant
l’histoire vraie d’un journaliste de guerre et de son ami cambodgien qui,
abandonné sur place, subira une terrible répression. En montrant les horreurs
perpétrées par les communistes, et bien qu’il soit aux antipodes du cinéma
reaganien et de ses outrances ultra patriotiques, le film est paradoxalement
l’un de ceux qui défendra le mieux les raisons de l’intervention américaine.
Alors que le film comporte des images qui pourraient fâcher, comme celles s’inspirant
du bombardement d’un village « ami » par des B-52 américains, Roland
Joffé a pu bénéficier de l’aide du Pentagone, montrant qu’à cette époque
pourtant résolument agressive et revancharde, l’armée américaine commence à
accepter la réalité de l’incident et ses conséquences : le bombardement
intensif des campagnes a poussé la population à la radicalisation…
En parallèle de cette approche relativement modérée
du sujet, des films réalisés hors collaboration vont revenir sur ce thème en
exploitant exclusivement le même angle : celui du prisonnier de guerre. La
métaphore est grossière et évidente : L’Amérique a laissé là-bas une part
d’elle-même et il s’agit d’y retourner pour corriger les erreurs causées par le
manque de courage politique et par la trahison antipatriotique d’une partie du
peuple. Car l’injustice de la défaite qu’exhale l’intervention américaine est
une épine dans le flanc du pays, jusque-là bercé par son mythe de la Destinée manifeste.
Si cette guerre se révèle injuste, les USA perdent alors leur dimension messianique
pour devenir une simple superpuissance. Il est donc indispensable de rectifier
le tir et d’expier cette décadence qui a rendu possible cet échec. Le premier
film à retourner chercher ses prisonniers et à relancer les hostilités est le
sympathiquement douteux Retour vers l’enfer (T. Kotcheff, 1983).
En 1984 et 1985 les deux Portés Disparus et Rambo
2 reprendront exactement le même argument, la même trame et les mêmes
ficelles pour dénoncer les hommes politiques comme étant les véritables
responsables de la défaite et les présentent comme méprisables, corrompus et
surtout dévirilisés. Aussi racistes que simplistes, ces films laissent de côté
les erreurs stratégiques et la réalité géopolitique pour un discours
populiste : aliéné par la décadence de la société civile et seul contre
tous, le héros reaganien va finalement devoir revenir faire ce qu’il fallait
pour gagner.
1985, alors que Reagan entame triomphalement
son second mandat, le monde arabe se déchire. La guerre entre l’Iran et l’Irak
fait rage, allumant un brasier qui ravagera la région pour des années. L’Amérique
a beau soutenir officiellement l’Irak, elle vend des armes en douce à l’Iran
pour financer les Contras fascistes d’Amérique Centrale. Car la politique internationale
visant à diaboliser l’URSS s’accompagne d’un harcèlement global. La course aux
armements (avec le délirant projet de défense satellitaire Star Wars) cherche à contraindre l’URSS à négocier et finira par pousser
le pays à la banqueroute mais, en attendant que le géant soviétique se
disloque, l’Amérique finance la guérilla pakistanaise contre la présence
soviétique en Afghanistan, soutient l’Afrique du Sud dans sa lutte contre
l’Angola et le Mozambique aux velléités communistes et finance donc les juntes
militaires du Salvador et du Guatemala.
Dans cette ambiance belliciste, la rage
anticommuniste qui saisit le pays se cristallise dans des films qui mettent en
garde l’Amérique comme L’Aube rouge (J. Milius, 1984) ou Rocky
4 (S. Stallone, 1986). Dans le premier, l’arrivée de Mitterrand en
France (eh oui !) et des écolos en Allemagne annoncent rien de moins que
la fin du monde libre et permettent l’invasion du territoire américain par des
troupes étrangères. Dans le quatrième Rocky, Apollo Creed, l’ancien
adversaire de Rocky, nage dans le luxe et l’arrogance. Il accepte de relever le
combat face au boxeur russe Ivan Drago qui le tue sur le ring. La destruction
est imminente si l’Amérique reproduit la même erreur et manque de vigilance.
Heureusement, Rocky ira au cœur de l’URSS mettre le boxeur à terre afin
d’imposer sa pax americana. Dans la continuité de L’Aube rouge, des
communistes latino-américains menés par un général soviétique attaquent Chuck
Norris et l’Amérique dans Invasion USA (1985, J. Zito) puis ce
sont des terroristes libanais que Norris met hors d’état de nuire dans Mission
en enfer (1986, M. Golan). Aigle de fer (1986, S. J. Furie) revient
lui sur les anicroches que connurent la Libye et les USA et de nouveau des
terroristes arabes sont mis en déroute dans Riposte immédiate (1987,
T. Leonard). Le Scorpion rouge (1988. J. Zito) retourne sa veste pour lutter
contre les communistes en Afrique du Sud et au même moment la CIA et le KGB
s’affrontent en Méditerranée pour l’Arme absolue (1988 E. Karson)… À
chaque fois, le même refrain : « L’Amérique
n’était pas prête, lui si ». En 1988, d’une manière bien plus
sérieuse, La Bête de guerre va narrer l’histoire d’un tankiste soviétique
qui, en Afghanistan, va se mutiner et finalement aider ceux qu’il était censé
combattre. Dans le même contexte géographique, c’est ce spectacle du
système soviétique en pleine déliquescence que reprend de manière légèrement
outrée Sylvester Stallone avec son troisième Rambo. Sans aucun rapport
avec la réalité de l’époque, Stallone réactive la menace soviétique pour rendre
légitime toute idée d’expansion politique et militaire menée sous la bannière
étoilée. Le film rappelle que c’est grâce aux USA que les soviétiques ont été chassés
du pays, tout en répétant que la force de frappe communiste ne peut rien face à
la débrouillardise et au courage américain.
Le Maitre de Guerre
Mais, au milieu de ces fantaisies, deux films
vont surfer sur toute cette folie anticommuniste et bénéficier d’un soutien total
de l’armée. Le premier, c’est le vociférant Maître de guerre (C.
Eastwood, 1986) et, dans un premier temps, la collaboration entre le célèbre réalisateur
et la Navy fait long feu. Mais les militaires sont consternés par
l’hallucinante vulgarité du film alors le script va échouer, une fois de plus,
dans les bras des Marines. Après d’âpres négociations le film se fait et reste
un exemple assez éloquent des difficultés que l’armée continue d’avoir pour se
voir telle qu’elle est, et non pas telle qu’elle se rêve.
Le second film, Top Gun (T. Scott, 1986),
va être un succès phénoménal. Le producteur Jerry Bruckheimer a l’idée de faire
un film sur cette école de pilote d’élite dès 1983. Il va d’abord voir le
Pentagone et rencontre le personnel de la Navy qui est très enthousiaste et
souhaite ne pas réitérer le fiasco d’Officier et Gentleman qui avait été rejeté
et qui, après être passé entre les mains des Marines, avait fait un carton au
box-office. Ici, l’entente est immédiate et la Navy adore le personnage joué
par Tom Cruise qui est un as du pilotage et va apprendre à dominer ses
instincts de rebelle pour intégrer le groupe. Et, bien que tout le monde soit très heureux d’avoir
pu faire un film autour d’un jeune n’éprouvant aucune honte à être militaire, les
auteurs assurent qu’ils n’ont pas voulu faire un film politique. Ils
reconnaissent qu’il s’agit là d’un sujet délicat, pour Bruckheimer « l’armée ne sera plus
jamais un sujet tranquille pour Hollywood car le Vietnam a tout foutu en
l’air. » Ceci dit, faire un divertissement occultant
toute dimension politique est, en soi, un choix politique. De plus, à partir du
moment où Maverick doit laver l’honneur de son père mort au Vietnam, un certain
goût de revanche plane tout de même sur Top Gun. À sa sortie, la volonté de
vouloir refaire La Guerre des étoiles avec des avions de chasse se révèle
payante, le film remporte l’adhésion du public et rend au soldat américain tout
son pouvoir de séduction. Top Gun est l’aboutissement
flamboyant d’une collaboration débutée soixante ans plus tôt avec Wings
(W. Wellman, 1927 – voir AAARG! Mensuel #02).
Et, bien que les producteurs aient publiquement assuré n’avoir pas voulu
réaliser une publicité pour le recrutement de la Navy, le film est comme un
rêve humide pour les militaires. Non seulement la production signe un chèque
d’un peu plus d’un million de dollars à la marine américaine mais celle-ci en
profite pour installer à la sortie des salles de cinéma des bureaux de
recrutement, saisissant au vol les spectateurs qui sortent, la tête encore dans
les nuages, pour leur faire signer un engagement. Dans le sillage du film, CBS en
profite pour produire une série documentaire sur les pilotes de chasse, une
nouvelle aubaine car jamais la Navy n’aurait pu s’offrir une telle couverture
publicitaire. Le service de coordination du recrutement pour
la Côte Ouest déclare alors que « le
sentiment que nous avons ici au recrutement est que le film a considérablement
augmenté le nombre d’inscriptions. C’est dur de mettre un chiffre sur ce que Top Gun
a fait pour la Navy, mais c’est
sûr que ça nous a aidés ». Dans certains articles, le chiffre d’une
augmentation de 500 % est annoncé et dans les colonnes du LA Times, le lieutenant Marlowe explique
que dans les mois qui suivirent la sortie, 90 % des nouvelles recrues
déclaraient avoir vu le film. Lorsque Top
Gun sort en VHS, la Paramount offre de placer avant le film une
publicité pour la Navy contre la somme d’un million de dollars (afin de
récupérer ce qui avait été payé aux militaires) mais le Pentagone rejette
l’offre en expliquant que « le film
est déjà un outil de recrutement merveilleux, ajouter une publicité avant ce
qui est déjà une publicité de deux heures nous semble redondant ». Le
recrutement n’est pas le seul but poursuivi par les militaires, ils souhaitent
également pouvoir bénéficier de véhicules rutilants qui peuvent montrer au
Congrès et aux contribuables américains que leur argent est au service d’un
appareil militaire performant. Il s’agit ainsi de rassurer l’Amérique dont le
sentiment d’invincibilité avait été ridiculisé par la résistance d’une poignée
de paysans. Commencée dix ans plus tôt avec La Bataille de Midway
(J. Smight, 1976), Top Gun achève ainsi la
réhabilitation des capacités militaires de l’Amérique et remet à la mode l’idée
d’une armée aussi cool qu’invulnérable. Phil Strub (qui remplacera en 1990 Don
Baruch, l’historique homme de liaison entre le Pentagone et Hollywood) déclare
dans le documentaire Opération Hollywood que Top
Gun « réhabilitait l’armée en la rendant de nouveau respectable
et digne d’intérêt en démontrant qu’on pouvait produire un film qui la présentait
d’une manière positive et gagner beaucoup d’argent sans pour autant devenir un
paria à Hollywood ».
Top Gun
Le retour dans les vertes vallées vietnamiennes
est entériné par Platoon (O. Stone, 1986). C’est un choc, et un succès énorme.
Dès le début, l’Army et Stone ne se sont pas entendus et ce dernier s’en va
réaliser son film aux Philippines de manière autonome. Devant la position
offusquée des militaires, Stone s’emporte. Pour lui, « ils sont incapables de pouvoir avoir un
jugement, ce ne sont que des bureaucrates ! » De leur côté, ces
derniers rejettent l’histoire en bloc, « l’armée a ici émis une objection, explique Phil Strub, car le film donnait l’impression que chaque
unité de combat agissait de la sorte, chaque soldat, lors de chaque mission. Et
qu’à chaque fois, les commandants se battaient, qu’ils brûlaient des villages
et violaient les femmes. On pense vraiment que la guerre du Vietnam, ce n’était
que ça. Et franchement, je pense que les gens ont cette vision à cause de Platoon… » L’idée qu’un soldat américain
s’en prenne à un autre soldat américain énerve Strub qui nie que de tels actes
aient pu avoir lieu, mais il semble oublier un peu vite que plus de 200
officiers jugés trop téméraires par leurs hommes ont été tués à coups de
grenade (ce qu’on appelle le fragging)
et 1 400 attentats de la sorte ont été répertoriés. Un chiffre bien
au-delà de l’événement exceptionnel. Mais ce n’est pas parce que Platoon
a révulsé les militaires qu’il en est pour autant subversif. En reprenant
grossièrement l’idée qu’au Vietnam l’Amérique s’est battue contre elle-même,
Stone semble rappeler que la lutte contre le communisme doit rester éthique,
sinon on se transforme en monstre et on se dévore soi-même. Peu de place pour
les Vietnamiens dans cette réflexion et, comme le rappelle J.M. Valantin,
« ce qu’il advient des sociétés qui sont le théâtre des conflits
politiques et éthiques propres au système stratégique américain n’est
qu’entraperçu ». Le
film, en tout cas, participe à la fabrication d’une image des affrontements
indirects de la guerre froide comme autant de guerres justes. C’est, toujours
selon Valantin, une histoire virtuelle qui entre en concurrence avec la mémoire
stratégique traumatisée, afin de commencer à la guérir et entamer un processus
d’identification avec son appareil de sécurité nationale. Mais, profitant de
décors impressionnants, jouissant d’une photo somptueuse et soutenu par un
casting solide, Platoon retrouve, à certains moments, les fulgurances des plus
grands films de guerre américains. Malheureusement, la grossièreté de
l’intrigue finit par rendre caduques les observations de Stone et emmène le
film sur les consternantes rives des actioners
reaganiens. L’argument de vérité porté par le passé de soldat de Stone ne
résiste guère à une analyse sérieuse du film et son conseiller technique, l’ex marine
Dale Dye, le reconnaît : Platoon est peut-être une bonne
représentation de la vie dans une petite unité de combat, mais ne représente en
rien ce que fut l’engagement américain. Ainsi, Platoon reste
essentiellement un fantasme où l’on se demande si la guerre n’a pas été perdue
car l’Amérique manquait de soldats comme Stone, des gens sérieux, qui écrivent
à leur grand-mère, ont une conscience mais peuvent être des guerriers
redoutables et héroïques. Le film ne plaît pas aux républicains et, parmi eux,
Chuck Norris s’insurge : « Si j'étais un vétéran du Vietnam qui
avait risqué sa vie là-bas, et que je voyais ces scènes où des GIs tourmentent
des villageois ou violent des jeunes filles, je serais furieux. » Ça ne changera rien, le film va
faire un carton et remporter quatre Oscars. Pour Hollywood, c’est comme un
appel à la soupe. Les années qui vont suivre vont plonger toutes les salles
d’Amérique (et du monde) dans l’enfer vert.
Platoon
L’année suivante arrive en salles un
projet qui couvait depuis des années : The Hanoi Hilton (L.
Chetwynd, 1987). Produit par la Cannon, habituée aux reaganeries musclées, le film rend hommage aux prisonniers de
guerre qu’il traite en héros et traîne dans la boue les pacifistes comme Jane
Fonda en les faisant passer, au mieux pour des abrutis, au pire pour des traîtres.
Pour le réalisateur, « les films de
Stallone et de Norris étaient si à droite dans leur simplicité cartoonesque qu’un
film comme le mien devenait tout à fait envisageable ». Le Pentagone
adore l’idée et le film va se faire avec peu de moyens et encore moins de
talent. Pénible et caricatural, The Hanoi Hilton disparaît rapidement, oublié de tous. 1987, Stanley Kubrick met
son grain de sel et livre sa propre version du Vietnam avec Full
Metal Jacket, dont le radicalisme l’exclut de toute collaboration avec
le Pentagone. Le film est en deux parties, la première reprend la figure
classique de l’entraînement des recrues, des scènes que l’on a déjà vues à
l’identique dans Les Boys de la Company C (S.F. Furie, 1978) avec déjà Lee Ermey
dans le rôle du sergent instructeur, ainsi que dans de nombreux autres films comme
The
D.I., Le Cri de la victoire, La Brigade du diable, Les
Bleus, Officier et Gentleman…
La formation à Parris Island vire au film d’horreur comme la maison hantée de Shining
glissait vers le labyrinthe mental puis, projetée au Vietnam, l’intrigue
devient une fable sur l’Humanité en guerre, mais sans avoir vraiment de liens
avec la réalité du conflit. Kubrick n’est pas allé aux Philippines pour retrouver
une certaine vérité, il va créer son propre Vietnam, de toutes pièces, dans les
alentours de Londres.
Toujours la même année, sort le
désespérant Hamburger Hill (J. Irvin, 1987). Le scénariste James Carabatsos
regrette que Stone et Kubrick aient utilisé les soldats pour servir leurs idées
politiques, leur arrachant leur identité pour en faire de vulgaires métaphores.
Son ambition est de se confronter à une bataille réelle et de l’utiliser pour
montrer de manière honnête et réaliste qui furent ces hommes et quel fut leur calvaire.
Cependant, malgré les ambitions d’Irvin, le choix d’une bataille aussi
controversée est en soi une déclaration politique. Le film a beau déboucher sur
une fin mélancolique, ne représenter ni rite de passage ni accomplissement militaire,
il revient, lui aussi, sur la même idée qu’au Vietnam, l’Amérique se battait
contre elle-même. Assez proche de Platoon dans le ton, mais graphiquement
beaucoup plus violent, Hamburger Hill reçoit pourtant le
soutien total de l’Army. Il a cependant fallu que le réalisateur laisse tomber
son idée de terminer le film en montrant un carton planté contre un arbre sur
lequel est écrit (anecdote réelle) : « Hamburger
Hill, cela en valait-il la peine ? ». À la place, le film s’achève
sur un plus consensuel « Bienvenue à
Hamburger Hill ». L’approche moins baroque d’Irvin et son scénariste a
permis de trouver un terrain d’entente avec Pentagone, mais l’armée n’est pas
dupe et sait qu’aucun film montrant les combats ne pourra jamais leur être
bénéfique. Au final, bien qu’Hamburger Hill n’ait pas un casting à la hauteur du film de Stone, il n’a rien à
lui envier en matière de photo ou de reconstitution mais, même si le film est
un succès, il restera tristement toujours un peu dans l’ombre de ceux de Stone
et Kubrick. Good Morning, Vietnam (B. Levinson, 1987) vient ajouter une
nouvelle pierre au genre, mais déjà, le Vietnam semble loin. Interprétation comique
et romancée du DJ Adrian Cronauer, le film est un véhicule luxueux mis au
service des seuls talents d’improvisation de Robin Williams. Il n’arrivera
jamais à reconstituer de manière intéressante le Saigon de 1965 et l’ambiance
lors de l’escalade du conflit, probablement parce que le film qui existe autour
de Robin Williams est très lamentablement écrit. En 1988, avec Outrages,
c’est alors à Brian De Palma d’expliquer à son tour qu’au Vietnam les Américains
se battaient les uns contre les autres. Réalisé hors de toute collaboration
militaire, le film scandalise le Pentagone. Pour eux, en focalisant sur une
histoire (vraie) de viol, le film laisserait penser qu’il s’agissait là d’une
norme. Très politique, le film met en parallèle le dilemme qui assaille
Eriksson et celui qui frappa une partie de la nation : fallait-il dénoncer
l’horreur au risque de multiplier les fronts en s’en prenant à ses
compatriotes ? Le film de De Palma apporte une réponse, mais cette dernière est
d’un cynisme qui semble issu de la décennie précédente. Le mouchard vivra dans
la peur de représailles jusqu’à la fin de ses jours, les assassins seront
libérés et la jeune fille vietnamienne, elle, est de toute façon déjà morte. En
faisant des exactions et des viols le symbole des blessures qu’a infligées
l’Amérique à ce petit pays, ce genre de films s’oppose à ceux qui cherchent à
réécrire l’histoire.
En 1989, Oliver Stone revient sur le
sujet avec Né un 4 juillet, l’un des derniers films de ce cycle. C’est ici
la dramatique histoire vraie d’un vétéran qui revient au pays handicapé et
traumatisé. Le film est en préproduction depuis le début des années 80 et
lorsqu’il avait failli se faire à l’époque, les Marines avaient été plutôt
séduits par cette histoire. Car même si Kovic revenait particulièrement amer et
critique de son séjour à la guerre, les militaires voyaient tout ça avec un
certain pragmatisme. Leur point de vue était très simple, pour eux, c’était
grâce à son entraînement chez les Marines que Kovic avait survécu et avait, in fine, trouvé le courage pour affronter
son handicap. Et si les auteurs pouvaient transformer la haine de Kovic en
dégoût pour son pays, mais pas pour le corps des Marines, une collaboration à
l’époque était tout à fait envisageable. Le film qui sort en 1989 a cependant
été fait de manière autonome et, encore une fois, se pose la question des licences
poétiques utilisées par Stone. En effet, le film semble délaisser son
sujet pour traiter des obsessions du réalisateur. Parce que Ron Kovic représente
une Amérique brisée, un Américain qui ne reconnaît plus son pays lorsqu’il
revient et qui se retrouve dans l’impossibilité de pouvoir reprendre sa place, Né un
4 juillet incarne peut-être l’un des films les plus célèbres de cet
autre cycle sur le Vietnam et traitant spécifiquement du traumatisme de la
société civile. Des films comme Gardens of stone (F.F. Coppola, 1987) qui traite la question des rituels du deuil et,
tout en critiquant l’idée de guerre, célèbre pompeusement le geste militaire et
l’honneur de ses soldats. Ironiquement, Coppola est allé piteusement quémander
auprès du Pentagone et de l’Army une aide précieuse quelques années après avoir
calamiteusement tenté de négocier une coopération pour Apocalypse Now. En 1988, The
Presidio (P. Hyams, 1988) devait être un polar assez finaud sur la
corruption que l’armée a ramenée d’Asie. Mais, pour pouvoir tourner sur la base
du Presidio à San Francisco, le script est à ce point essoré qu’il n’y reste
pas grand-chose une fois projeté sur l’écran. Vidé de son sens, rendu absurde
par des changements d’intrigues aberrants, The Presidio n’a plus rien à
proposer à part une belle photo et la performance toujours impeccable de Sean
Connery qui n’hésite pas à prendre son air le plus concerné pour réciter le laïus
patriotique et promilitariste de rigueur : « Je pense que l'Amérique est une grande demeure de luxe. Et nous les
Dobermans. Le proprio entend du bruit en bas. Il est bien content d'avoir cet
affreux gros chien, non ? Mais... le lendemain, il reçoit ses amis et enferme
le chien. Pourquoi ? Parce qu'il a un peu honte. Cette même nuit, il lâchera
son chien pour se protéger. Si un intrus s'amène et que le chien lui mord pas
le cul, son maître prendra un journal et lui tapera dessus. C'est comme ça. »
Un commentaire cynique tournant la page des questions qu’on pouvait poser à
l’armée américaine suite à son comportement au Vietnam.
1989, l’écroulement de l’URSS et l’arrivée
de la nouvelle administration Bush annoncent les années 90. Pour cette décennie
qui arrive, la disparition de l’ogre soviétique va laisser place à de nouveaux
ennemis, réels ou fantasmés, qui seront au cœur du cinéma mettant en scène la
sécurité des USA. Une nouvelle époque, de nouvelles menaces et de nouvelles
modalités dans la fabrication de ces films. Ayant retrouvé toute sa puissance
médiatique, l’armée américaine s’apprête à affronter un nouveau diable, Saddam
Hussein. En 1990, ce dernier met alors en garde les États-Unis : « Les Américains sont toujours influencés par
les films de Rambo, mais ça ne sera pas un film de Rambo, ça sera tout à fait
différent. Nous ne sous-estimons pas la puissance militaire américaine, mais
nous méprisons leurs intentions diaboliques. »
(à suivre ?)